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PRÉFACE. xxv

Ainsi l'étymologie immédiate serait souvent peu significative : l'étymologie complète et analytique serait l'histoire des autres langues pour arriver à la nôtre. De là, sans doute, il ne faut pas conclure que la science étymologique est vaine et fausse, mais qu'elle est immense, et qu'étant surtout une science de comparaison, elle n'est possible que par la tardive réunion de tous les éléments qui servent à l'éclairer. Faute de ce moyen, on ne peut voir qu'à côté de soi, et peu de chose, ou s'égarer ingénieusement.

On sait combien les peuples lettrés de l'antiquité, qui ne connaissaient que leurs langues, tombaient, à cet égard, dans de singulières erreurs. Celles du savant Varron nous étonnent ; et Quintilien en relève d'autres non moins bizarres. Jamais les étymologies qui parfois ont fait rire du docte Ménage n'approchèrent, pour l'incertitude et la subtilité, de celles que Platon a multipliées dans un dialogue tout exprès. C'est que Platon voulait, sauf quelques exceptions, tirer toute la langue grecque d'elle-même, par un préjugé semblable à celui des Athéniens se croyant nés de la terre qui les portait. De là, dans le Cratyle, sur les noms des êtres et des choses, sur les mots essentiels de la langue grecque, tant d'explications arbitraires ou fausses, mais fausses avec la grâce de l'imagination antique. C'est ainsi que Platon vous donnera l'étymologie du mot ήρωζ, héros, demi-dieu. « Ήρωζ, fait-il dire par Socrate, vient du mot έρωζ, amour, parce que les héros étaient tous nés de l'amour d'un dieu pour une mortelle, ou d'un mortel pour une déesse, etc. ; ou bien encore, ήρωζ peut venir de είρω, είρειν, dire, parler, parce que les héros avaient le don de l'éloquence. » Cette raison est bien athénienne. Platon vous dira encore, par la bouche de Socrate, que « σώμα, le corps, vient de σημα, tombeau, parce que le corps est le tombeau de l'âme ; ou qu'il peut venir aussi de σημαινω, faire des signes, faire connaître, parce que le corps fait des signes à l'esprit. » Ainsi, pour une foule d'autres mots, expliqués avec la même finesse métaphysique, et dont l'origine réelle a été reportée à la langue hébraïque, ou se retrouve aujourd'hui dans la langue sanscrite ignorée des Grecs, qui cependant lui devaient en partie la leur. Car l'érudition moderne est venue, après trois mille ans, renouer entre des peuples anéantis le lien qu'ils n'avaient pas aperçu eux-mêmes, durant leur passage sur la terre.

Mais ce dialogue de Platon, tout semé des jeux de l'esprit grec, n'en renferme pas moins une vérité fine et profonde, qui se retrouve dans toutes les langues, qui peut s'appliquer à la nôtre, et qui touche en même temps aux éléments primitifs du langage et à la perfection de l'art : cette vérité, c'est que les mots, dans l'origine, ne sont pas imposés arbitrairement[1], mais déterminés par un secret rapport avec la chose qu'ils expriment. C'est pour cela que le peuple fait

  1. « Suum à naturâ rebus inesse nomen... quamdam nominum proprietatem ex rebus ipsis innatam esse. » (Plat. in Cratylo.)