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xxvi PRÉFACE.

les langues, sous l'action d'une loi commune, modifiée par les climats et les races ; et, par cette même cause, une langue se gâte lorsque les mots conventionnels et sans liaison avec le caractère des choses se multiplient à l'excès, et qu'un faux art couvre et altère ce fonds d'expressions musicales et vraies données par la nature.

Un savant italien[1] a soutenu, dans un livre, que le premier homme parlait grec ; car son premier cri, à la vue de l'univers, avait dû être l'ω admiratif du grec, et les autres voyelles de la même langue, α, ε, ι, ο, υ, ses premières exclamations de douleur et de joie. Ce savant oubliait que les voyelles, précisément parce qu'elles sont les plus faciles émissions de la voix, appartiennent à toutes les langues, même à celles qui n'ont pas de lettres pour les exprimer. Mais, quelle qu'ait été la langue originelle, divinement transmise, ou formée par la raison que Dieu donne à l'homme, le caractère primitif des langues est de faire entendre, autant qu'il se peut, l'objet et l'idée par le son ; et ce caractère leur est si essentiel qu'il persiste à toutes leurs époques. Évidemment, la parole a d'abord été figurative, comme plus tard l'écriture. Mais la représentation de chaque objet par le dessin était un mode presque impraticable, auquel ont dû succéder bientôt l'esquisse tronquée, puis les traits de convention, aussi nombreux que les mots, puis enfin la sublime invention de l'alphabet. La langue figurative, au contraire, celle qui peint par le son, est restée la force et la vie de tout langage humain ; et l'esprit de l'homme n'y renonce jamais.

Ce rapport du son à l'objet n'est point borné à quelques cas, où il nous frappe par une forte onomatopée. On le retrouve partout, dans les mots composés de notre langue, comme dans les dérivés des langues étrangères, pour l'expression des idées, comme pour celle des choses. Il est, à quelques égards, la première étymologie des mots. Ce n'est pas seulement par imitation du grec βρέμειν, ou du latin fremere, que nous avons fait le mot frémir ; c'est par le rapport du son avec l'émotion exprimée. Horreur, terreur, doux, suave, rugir, soupirer, pesant, léger, ne viennent pas seulement pour nous du latin, mais du sens intime qui les a reconnus et adoptés, comme analogues à l'impression de l'objet. On peut assurer qu'une affinité du même genre se produit partout à divers degrés, et que, sauf quelques variétés profondes de la constitution humaine et du climat, un certain ordre d'articulations est, en général, affecté aux mêmes sensations. Voilà ce que Platon avait entrevu dans le Cratyle, par l'analyse des éléments mêmes du son et des touches de la voix[2]. Avec les seuls exemples des mots grecs, il indiquait, comme naturelle et nécessaire, une analogie retrouvée depuis dans tant d'idiomes qu'il ignorait, ou qui n'existaient pas encore.

Ce résultat de notre nature, modifiée diversement, était surtout sensible dans

  1. Joann. Pet. Ericus.
  2. « Littera R videtur omnis motûs quasi organum esse. » (Plat. in Cratylo.)