Page:Le dragon blesse Croisset Francis 1936.djvu/22

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déjeuner ? Et ces cancrelats que j’apprécie moins et que je découvre chaque matin dans ma baignoire ? Et ce papillon éperdu qui, un beau soir, s’est mis à voler autour de ma lampe, alors que nous sommes depuis six jours en pleine mer ? Comment est-il né, venu là ?

La nuit, la mer luisante est pleine de phosphore. Un poisson volant, par mon hublot a sauté dans la cabine. Je l’ai pris avec quelque appréhension et rejeté à la mer. Depuis, j’ai au doigt une rougeur qui me démange : je me demande si c’est le poisson ou un moustique.

Quand, ne pouvant m’assoupir, j’erre sur le pont, les visages des dormeurs me révèlent tout ce que la lumière du jour me cachait. Quelle vérité que le sommeil ! L’âme apparaît, le fond de l’âme, candide chez les uns, féroce, haineux, bas chez les autres. Rien ne surveille plus l’expression des figures. Certaines font presque peur. Une femme jeune encore et qui, il y a une heure, était jolie, dort, le visage délabré. L’amertume de toute une vie ratée pend dans les plis de ses lèvres. Et cette autre qui avant dîner était charmante ! Comme elle a tort de dormir la bouche ouverte.