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Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/130

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les bords de la rivière Chiré, les indigènes, croyant avoir affaire à des négriers, se réunirent dans les intentions les plus hostiles , Cachés derrière les arbres, ils suivaient d’un œil irrité les voyageurs, l’arc tendu et prêts à décocher leurs flèches. empoisonnées. A chaque pas, il fallait parlementer; mais quand Livingstone était parvenu a faire cesser toute défiance les habitants se montraient hospitaliers et doux.

Les voyageurs rencontrèrent quelques intelligences distinguées; mais, en général, quelle ignorance, quelle superstition, quelle abrutissante servitude! Les peuplés croient encore, dans ces contrées primitives, au droit divin de leurs chefs, et ceux-ci en abusent sans pitié. Un petit souverain, encore plus sottement orgueilleux que les autres, ne se prétendait pas seulement le représentant de la divinité, il en était l’incarnation même. En succédant a son père, il s’était senti devenir dieu. Les sujets imbéciles de cet imbécile tyran ne mettaient pas en doute un seul instant son infaillible puissance. Il leur disait: « Vous pouvez sans crainte vous baigner, dans le Chiré, les, crocodiles ne vous toucheront pas. Je le leur défends.» L’heureuse peuplade s’ébattait en toute confiance dans la rivière. »

Cependant toutes les tribus sont loin d’avoir cette stupide vénération; pour leurs chefs. Il n’est pas rare d’en entendre parler, d’une façon tout à fait irrévérencieuse. « On se gouvernerait mieux soi-même; à quoi servent les chefs? Pourquoi en avoir? Lé nôtre ne fait absolument rien; il s’engraisse! Nous qui faisons un rude travail, nous avons faim! » Les protestations ne vont pas au-delà des paroles; mais les relations avec les Européens produiront, dans quelque temps, un esprit de révolte qui, avouons-le, n’aura rien ici que de très-légitime.

La faune de ces contrées de l’Afrique n’est pas moins riche que celle des régions visitées auparavant par Livingstone. Les plaines humides qui entourent les grands lacs sont littéralement couvertes d’oiseaux aquatiques de toute espèce. Quand ils volent en troupe, leur nombre est si considérable qu’ils obscurcissent les rayons du soleil. De charmants tisserins, les uns rouges, les autres jaunes, voltigent sur les hautes herbes; les hérons vont se percher sur le dos des buffles et des éléphants; les marabouts se promènent gravement, explorant les marais, au milieu de légions de canards. Tous ces hôtes des grands lacs, fauves et oiseaux, regardaient passer, le bateau à vapeur, beaucoup plus surpris qu’effrayés: ils ne songaîent point à fuir; quelques-uns. même s’avançaient très-près des voyageurs: Mais à peine eut-on tiré quelques coups de fusil que cette familiarité s’évanouit. Comme si lés premiers attaqués eussent couru avertir les autres, la solitude se fit autour de Livîngstone et de ses compagnons; tous ces animaux s’éloignaient à la hâte dès qu’on approchait; tous devenaient invisibles et insaisissables.

On pénétra dans le lac Chiroua, qui n'estpas éloigné du lac Nyassa, vers l’est. Une tempête faillit engloutir Livingstone et une partie de son escorte. Les vagues les plus effrayantes se précipitaient trois par trois; leurs crêtes écumeuses, réduites en poudre, étaient rejetées derrière elles. Des heures s’écoulèrent ainsi en face d’un 1 péril 1 imminent de mort. Un nuage bas et sombre, de forme étrange, descendit des montagnes et s’arrêta directement sur la tète des passagers; des bandes d’engoulevents voltigeaient dans la tempête comme des oiseaux de sinistre augure. Les rameurs, saisis du mal de mer, se couchaient et ne pouvaient plus maintenir le bateau devant la lame toujours plus furieuse. Les riverains et le reste de l’escorte, debout sur les rochers s’écriaient: « Ils sont perdus.! ils sont morts! » Enfin la tour- mente se modéra, et ils purent gagner le rivage.

Aucune population n’est plus agglomérée en Afrique que celle des bords du lac Nyassa. Les indigènes accoururent sur le passage du bateau à vapeur: ils ne pouvaient se lasser de regarder les Chirombos: tel était le nom qu’ils donnaient aux Européens; or chirômbos signifie animaux sauvages. Mais la suprême jouissance, c’était de voir manger les étrangers. Dès qu’ils vaquaient à cette importante occupation, un cercle nombreux de têtes noires et curieuses se formait autour d’eux. On suivait chacun de leurs gestes c’étaient à tout moment des cris de surprise ou des rires bruyants.

A suivre. RICHARD CORTAMBERT.


LE PÉLICAN

DU JARDIN D'ACCLIMATATION [1]

Le pélican a reçu sa poche, sorte de garde-manger ou l’oiseau pêcheur emmagasine des provisions pour lui et sa progéniture, et même quand il n’a plus rien dans son sac, personne ne l’a' vu abreuver ses petits de son sang. Tous les préjugés répandus dans le monde à l’endroit de' l’amour immodéré du pélican pour sa famille proviennent précisément de l’habitude qu’il a de tirer son poisson de son carnier pour le distribuer à ses petits. Ce qu’il fait là, lé pigeon, le canari et le chardonneret le font tous les jours sous nos yeux, sans nous faire crier au miracle. La poche, du pélican est, comme nous l’avons dit, un jabot d’une plus grande dimension que celui du pigeon, voilà tout; mais c’est comme - le jabot du pigeon ou celui du chardonneret, ou comme la panse des ruminants, un estomac préparatoire où l’animal prévoyant emmagasine ses aliments pour leur faire subir un ramollissement préalable, et les avoir sous le bec quand l’heure du repas ou de l’abecquement est venue. Cela n’a rien que de très-naturel.

Le pélican a été surnommé grand gosier, surnom

  1. Suite. Voy. pages 79, 96 et 110.