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rirent, martyrisés pour n'avoir pas voulu abjurer leur religion. Toujours est-il que, douze ans plus tard, un certain Maschmuk d'Alexandrie. en possédait encore soixante-dix, qui, dit le narrateur étaient arrivés à l'âge d'hommes et qui probablement durent mourir en esclavage.

Ainsi s'acheva cette étrange, entreprise.

Mais n'oublions pas de remarquer que les deux hommes à qui elle dut d'avoir un aussi navrant dénoùment ne jouirent pas longtemps du fruit de leur odieuse trahison.

En quittant l'Egypte, ils vinrent, en Sicile, où les gros bénéfices qu'ils avaient realises les aidèrent sans doute à entrer dans l'intimité du gouverneur de l'île. Ils tramèrent avec lui un complot contre la personne ou les droits de Frédéric I roi de Sicile et empereur d'Allemagne, le même qui une quinzaine d'années plus tard, devait, comme chef de ce que les uns appellent la cinquieme, les autres la sixième croisade, obtenir la reddition de Jérusalem.

La conspiration ayant été, découverte, Porco et Ferré furent pendus à la même potence que leur ami, le gouverneur de Sicile.

Nul doute qu'en ces temps où l'on était assez généralement expert dans l'art de supplicier les gens cette mort n'eût paru trop douce à l'empereur s'il eût été instruit de la cruelle infamie commise par ces deux bandits contre les naïfs, soldats de la foi chrétienne.

L'oncle Anselme.


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DANS L'EXTREME FAR WEST

AVENTURES D'UN ÉMIGRANT DANS LA COLOMBIE ANGLAISE


CHAPITRE IX

WILLIAM’S CREEK

Personne au monde n’est autant que le chercheur d’or le jouet des circonstances; personne n’a moins que lui le temps et les moyens de calculer les chances bonnes ou mauvaises du parti qu’il va prendre; personne enfin n’est plus que lui la victime ou le favori de la fortune: sa profession n’est qu’un jeu de hasard et il n’est lui-même qu’un joueur déterminé.

La science, contrairement à ce qui se passe pour les métaux moins précieux, ne lui est pour ainsi dire d’aucun secours. L’expérience pratique a plus de valeur; car, pour ce qui est de l’existence de l’or sur un point donné, l’opinion de quelques vieux chercheurs d’or a plus de poids que celle de tous les membres de n’importe quelle société de géologie. Mais, il faut bien le dire, l’expérience elle-même est à chaque pas en défaut. Il y a—peut-être faudrait-il dire aujourd’hui il y avait—en Californie des placers appelés par les vieux mineurs Greenhorn (pointe des inexpérimentés, des nigauds), et qui, exploités, devinrent un jour les gisements les plus riches.

Nous nous trouvâmes, lorsqu’il fallut enfin nous décider nous-mêmes, dans une grande perplexité. Chacun était d’un avis différent et nous ne savions à quoi nous arrêter.

Sur un espace de deux ou trois milles, tout le pays était occupé, et William’s Creek ressemblait nuit et jour à une vaste fourmilière. Les fourmis humaines travaillaient, car dans les terrains humides le travail ne peut pas être suspendu, pas même le dimanche. Aussi était-ce un curieux spectacle que de voir la nuit, dans la vallée, chaque puits avec son petit feu, sa lanterne et ses ombres allant de l’obscurité à la lumière, pour rentrer de la lumière dans l’obscurité, comme les démons dans une féerie, pendant que, de temps à autre, une hutte s’éclairait, lorsque quelque travailleur fatigué allait enfin se reposer de son labeur nocturne.

Il n’était pas probable que qui que ce fût, dans une Babel pareille, se dérangeât pour nous donner des renseignements. Cependant je trouvai enfin un individu qui voulut bien répondre à mes nombreuses questions, tout en m’indiquant les puits qui représentaient les placers ou claims les plus riches.

Mon nouvel ami me dit que son nom était Jake Walker; qu’il était un de ceux qui avaient découvert le Caribou; que précédemment il avait travaillé à la recherche de l’or sur les bancs de sable du Fraser; et qu’il était venu en 1858 de la Californie, où, en 1849, ayant abordé comme matelot, il avait quitté son vaisseau pour courir aux mines.

Le pauvre homme faisait triste figure et ne nous cacha pas qu’il était réduit aux plus dures extrémités. Je l’emmenai donc à notre tente et il dîna avec nous. Pendant notre frugal repas, je lui dis qu’il me semblait fort étonnant qu’un homme expérimenté comme lui, et que tout le monde serait heureux d’employer, n’allât pas travailler sur l’un des claims où de simples manœuvres étaient payés seize dollars par jour. Sa réponse fut caractéristique:

«Voilà treize ans, me dit-il, que je suis mon maître, et je compte bien ne jamais travailler sous les ordres de personne. Il n’y a pas un marchand dans la vallée qui ne soit prêt à faire crédit au vieux Jake pour son ordinaire et son whiskey, et je finirai toujours bien par payer. Du reste, je vous parie l’océan Pacifique contre un verre d’eau douce que j’aurai fait fortune avant la fin de la saison.»

Honteux de ma présomption, je changeai de conversation et lui parlai du lit d’un torrent voisin appelé Jack of Clubs Creek, et lui demandai s’il avait examiné ce terrain.

« Oui, je l’ai examiné, dit-il, et je compte bien y