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Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/18

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enflés par les pluies ou les fontes des neiges, montent, montent au-dessus de leurs lits, roulent, entre les digues ou jetées construites sur leurs berges, des masses d’eau de plus en plus considérables, et enfin rompant ces obstacles se précipitent avec fureur par ces trouées et inondent au loin les plaines. Malheur alors aux villages qui reçoivent le choc ! leurs habitations s’écroulent les récoltes sont emmenées par le flot, les champs sont ruinés, soit que l’inondation les recouvre de sable et de gravier, suit qu’elle enlève par sa violence la couche végétale qui en fait la richesse, la fertilité.

Quel morne aspect que celui de ces vastes plaines recouvertes d’eau à perte de vue, et d’où émergent, les sommets des arbres, les toits des maisons, les clochers des villages, et où flottent çà et là de tristes épaves, des mobiliers, des cadavres d’animaux, et trop souvent hélas ! des cadavres humains ! J’ai vu, en 1810, les plaines inondées du Doubs et de la Saône, et jamais je n’oublierai les scènes de désolation dont ces plaines furent le théâtre. Les ponts aux arches les plus élevées avaient disparu sous les eaux les quais des villes comme Châlon, Mâcon, Lyon, ne se distinguaient plus des rivières ; l’eau montait au-dessus des premiers étages des maisons.

Hâtons-nous de dire que, cette année, l’inondation n’a point atteint en France des proportions pareilles. La vallée du Rhône a été, il est vrai, à diverses reprises, sous la crainte de grands périls : mais presque partout le fleuve est resté dans son lit les digues ont résisté à ses efforts, et les désastres n’ont été que des désastres partiels. La Seine, au moment où nous écrivons, déborde et envahit à Paris les berges des quais, mais l’inondation ne paraît point inspirer de craintes sérieuses. Il n’en a pas été de même en Italie, où l’Arno, le Tibre et plusieurs autres rivières ont débordé en causant de grandes ruines, où la vallée du Po surtout a été ravagée par une inondation terrible, qui, au moment où j’écris, dure encore.

Pendant plus d’un mois, les pluies torrentielles, des trombes, des orages, n’ont cessé de grossir les eaux du fleuve et de la plupart de ses affluents, le Tessin, l’Adda, l’Oglio, dont les lits ne pouvaient suffire à écouler le trop-plein des lacs de Garda, de Corne et du lac Majeur, débordant eux-mêmes sur leurs rives. À plusieurs reprises, les digues se sont rompues, notamment aux environs de Lodi, de Pavie et de Révère dans la province de Mantoue. Partout, les populations affolées de terreur fuyaient devant le fléau, non sans lui laisser des victimes ; les ponts détruits, les routes coupées, les maisons écroulées, des milliers de personnes sans abri, sans vêtements, sans pain, voilà le tableau des misères navrantes que la riche Lombardie et les provinces de Mantoue et de Ferrare ont eues à subir. Les municipalités, les particuliers, le gouvernement italien ont rivalisé de dévouement pour porter secours à de si grandes infortunes. Mais ce sont des millions qu’il faudra pour réparer les perles matérielles, si l’on songe que l’inondation s’est étendue sur une surface de plusieurs centaines de kilomètres carrés, que des villes et des villages ont été submergés. D’ailleurs, ainsi que l’ont fait observer avec raison les journaux du pays, les eaux du Pô, de l’Oglio et des autres cours d’eau débordés ne sont pas de ces eaux fertilisantes qui déposent leur limon en échange de leurs ravages sur les terres inondées elles ne laissent que des galets. Pourvu que ne naissent point encore après elles les fièvres et les maladies épidémiques.

On le voit, je n’exagérais point en disant que l’eau, comme fléau destructeur, est plus terrible que le feu. Mais que serait-ce si je pouvais peindre dans leurs détails les épisodes navrants d’une inonda lion. J’en choisirai nu cependant parmi les faits dont les journaux nous ont donne le récit. C’est celui que reproduit noire gravure.

Voici la relation qu’en a donnée la Nazione, de Florence :

Nous recevons d’un témoin oculaire des détails émouvants sur le sinistre de Scandicci, dans la commune de Casellina à Torre.

Vers une heure du matin, pendant que tout le hameau de Scandicci était en émoi, parce que la Grève menaçait de déborder, et que tous les soins et toute l’attention étaient tourné vers la partie où passe le torrent, les pauvres habitants furent assaillis par le débordement.

En effet, le torrent, après avoir rompu les digues près de la fournaise Pappucci, faisait irruption dans les champs et arrivait dans la partir supérieure de Scandicci, devant le mur dit de Lanfredini, qu’il renversait. La masse des eaux alla se briser contre une grande maison appartenant à M. Doney et habitée par de nombreux locataires.

Au rez-de-chaussée demeuraient huit familles. En luttant contre les eaux, elles réussirent en grande partie à se sauver, en perdant toutefois tout ce qu’elles possédaient, et un certain Pasquale Coppini, cordonnier, et un certain Mancini, ouvrier, se trouvant plus embarrassés que les autres, parce qu’ils avaient une femme et des petits enfants, ne purent parvenir à se sauver.

Coppini vit disparaître sons ses yeux, dans les tourbillons de l’eau, sa sœur, âgée de vingt-cinq ans, qui lui demandait en vain secours. Mancini, après avoir porté aux locataires du premier étage deux de ses petits enfants, retourna-dans son habitation pour sauver sa femme et les deux autres enfants, Tito, âgé de trois ans, et Giulietta, âgée de huit mois. Mais l’eau s’éleva soudainement à la hauteur de plus de deux métrés dans la chambre, enleva de-terre le malheureux père, le rejeta hors de la maison. Il fut recueilli au moment où il allait se noyer.

Cependant l’eau continuait à monter ; le rugissement effrayant des eaux et les cris désespérés des locataires furent, pendant quelque temps, les seuls bruits qu’on entendit dans cette maison.

Au bout de quelques heures, quand les eaux eurent diminué, le pauvre Mancini courut avec un grand nombre d’autres personnes dans son habitation. Il vit sa femme étendue sans vie sur son lit, et tenant encore par la main le petit Tito et sur son sein Giulietta. Mais ce ne furent pas les seules victimes.

Une belle jeune fille de dix-huit ans s’enfuyait de la maison assaillie par les eaux ; elle tentait de se sauver en s’accrochant à l’escalier de la maison du menuisier Bellieri. Elle fut enlevée et entraînée dans une cave, où quelques heures après on retrouva son cadavre.

Une autre petite fille de Terra Nuova, âgée de trente mois, est morte noyée dans un logement attenant à celui de Mancini.