Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la moitié du torse étaient restés sur le piédestal, on voyait le reste dans les hautes herbes. Une Jardinière Galante faisait le pendant ; elle s’était évidemment consolée de la perte du jardinier, puisqu’elle était toujours aussi galante et aussi gracieuse ; je ne dirai pas, par exemple, qu’elle fût toujours aussi jeune ; car la perte d’une notable partie de son nez, et l’éraillement de ses yeux la vieillissaient beaucoup ; au delà du boulingrin de tilleuls, il y avait un quinconce de marronniers, puis, à droite, des bosquets de lilas et un labyrinthe en charmille.

Une légère fumée bleuâtre s’élevait au-dessus de la charmille, et une odeur de tabac se mêlait au parfum des giroflées.

« Il y a là quelqu’un qui pourra nous renseigner, » dit Robillard en se dirigeant d’un pas délibéré vers le fumeur invisible. Arrivé au labyrinthe, il poussa un cri de surprise : le fumeur invisible, c’était la tante Edmée en personne. Oui, la tante Edmée, que son asthme oppressait de plus en plus, et à qui son médecin avait recommandé l’usage de la pipe. Le premier moment de surprise passé, Robillard se jeta dans les bras de sa tante, et il y eut dans le labyrinthe un échange de baisers retentissants et de questions sans réponse. Bientôt les baisers furent moins retentissants, les questions eurent des réponses, et Robillard se souvint qu’il n’avait pas encore présenté son ami. La tante Edmée trouva que Jean ressemblait à sa mère, et lui en fit son compliment. Jean trouva que la tante Edmée ressemblait à une pomme de reinette trop mûre, et se garda bien de lui communiquer cette remarque désobligeante. C’était une vieille paysanne ; son langage était à peu de chose près celui de la campagne, mais on voyait tout de suite que ses sentiments étaient élevés et son cœur généreux. Enfin, elle avait de si bons yeux et un si bon sourire, qu’au bout de cinq minutes Jean se demanda pourquoi il avait comparé un instant cette digne femme à une pomme de reinette.

Comme elle avait l’haleine courte, elle procédait surtout par exclamations et par petites phrases coupées. « Hein ! mon garçon, — ton père va bien ! — Tant mieux. — Son affaire avec l’entrepreneur arrangée, — hein ? — Bien ! — » Puis elle fit à Jean un récit saccadé et pittoresque de l’enfance de Robillard, de ses prouesses, de ses réparties, de ses méfaits, de ses succès. Elle fit, en passant, l’apologie de sa pipe ; elle tenait à s’excuser d’avoir été surprise avec un engin si peu féminin. Le médecin lui avait d’abord ordonné certaines cigarettes où il entrait je ne sais quelle drogue. Cela lui tournait la tête au point qu’elle ne distinguait plus un épi de blé d’un épi de seigle. Alors il lui