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plus qu’un souvenir, et ce souvenir lui-même s’effaça, excepté dans le cœur de ceux que l’orateur avait frappés sans le savoir, et qui emportaient partout leur blessure.

On parla ensuite d’un photographe très-chevelu qui s’établit près du vieux pont ; puis ce fut le tour des courses châtillonnaises.

Comment fut résolue cette grave difficulté des courses à Châtillon ? Quand on pense que quatre sous-préfets à la file y avaient inutilement usé leurs ongles ! (par métaphore, bien entendu, car ces messieurs, gens du meilleur monde, soignaient trop leurs ongles réels pour les user sur quoi que ce soit). Cette question fut résolue comme beaucoup d’autres, par l’action seule du temps, qui s’amuse tous les jours à résoudre des problèmes bien plus difficiles.

Lorsque le ministère de l’intérieur eut rendu justice aux talents administratifs de M. de Trétan, et qu’il eut fait de lui un préfet, il fut remplacé par un brave homme tout rond, tout simple, qui se souciait des courses comme une poule d’un couteau. Mais l’idée était mûre, il n’eut qu’à récolter. Les anciens conseillers d’arrondissement avaient été remplacés par des conseillers plus jeunes, qui trouvèrent spontanément la chose bonne, faisable, facile, utile, et même à de certains égards nécessaire. Voilà le premier pas, le reste marcha de soi. Les premières courses eurent lieu au mois d’avril 1870, par un beau soleil que tempérait une petite brise.

Ce ne fut pas de la joie, ce fut du délire qu’éprouva Châtillon à se voir si beau, si pimpant, si bien représenté. Le rédacteur en chef du Glaneur courait partout, la carte au chapeau, d’un air effaré, prenant des notes à outrance. Les écuries les plus connues sur le turf avaient envoyé leurs chevaux ; pour la première fois, on vit à Châtillon les chevaux et les jockeys de M. le baron Jacquin ; il n’avait pas osé se montrer en personne au lieu de sa naissance ; il eut tort, car il fut tout de suite populaire en la personne de Rat-Musqué, monté par le célèbre Cob, qui remporta un des grands prix.

Il y eut une course de gentlemen riders où Ardant et Bailleul se distinguèrent par leur bonne grâce et leur bonne tenue. Ce fut Bailleul qui arriva premier. Où étais-tu, Michel de Trétan ? peut-être aurais-tu mérité cette gloire ? Quant à Jean, perdu dans la foule des tribunes, i) vit sans la moindre jalousie le triomphe de ses amis.

« Quels applaudissements ! quels cris de joie ! disait le lendemain le Glaneur de Châtillon ; toutes les célébrités hippiques étaient là, toutes ! Quelle gloire pour notre chère cité ! » Il y avait, dans ce numéro du journal, un mot aimable pour chacun des chevaux et pour chacun des jockeys et des gentlemen. Il y eut un véritable feu d’artifice de galanterie, en l’honneur des dames. « La foule, disait M. le rédacteur en chef, était ivre de soleil, de couleurs, de printemps et de cris. » Des gens qui se connaissaient à peine échangeaient de loin de petits signes de tête ; on se serrait la main, on se félicitait, comme si la patrie venait de remporter une grande victoire.

La partie populaire de l’assemblée, celle que sa tenue négligée et la nécessité de payer excluaient des belles places, se dissémina le long de la piste. Les gamins se postèrent d’instinct aux abords de la petite rivière artificielle, avec l’espérance d’y voir dégringoler quelque jockey avec son cheval. Leur espérance ne fut pas trompée : Parasol manqua son élan et roula dans l’eau avec son cavalier Longlegs. Longlegs se tira de là sain et sauf, mais ruisselant et piteux comme un chat noyé. On le réconforta d’une salve d’applaudissements ironiques auxquels il répondit par une laide grimace. Alors la joie des gamins ne connut plus de bornes : la fête était complète.

Et la musique des pompiers ! et le défilé ! « Qui n’a pas entendu l’excellente musique de nos braves pompiers n’a rien entendu, disait le Glaneur. Et qui n’a pas vu le splendide défilé des équipages n’a rien vu ! Tous les spectateurs étaient couverts d’une a noble poussière », pulverem olympicum ! Quant aux cavaliers, leur science hippique est au-dessus de tout éloge ! On ne peut les comparer qu’à ces fabuleux centaures de l’antiquité ! Oui, un pays où l’on exécute de pareilles choses est un grand pays ; oui, le peuple qui les accomplit est un grand peuple ! »

Le Cercle de la Jeune France illumina.

A suivre.

J. Girardin.


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DANS L'EXTREME FAR WEST


CHAPITRE XI

NOS VACANCES

S'il en est parmi nos lecteurs qui aient eu le bonheur de voir le golfe de Géorgie, ses charmants rivages et ses îles nombreuses, ils attesteront, je crois,