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Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/25

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ici ; personne ne doit y entrer quand maman n’est pas là, excepté M. Dionis et Mademoiselle.

— Oh ! ne me mangez pas, je vous en supplie, cria-t-il, en affectant la plus grande frayeur. Un petit bonjour en passant. Ma mère est en haut qui jabote

— Qui jabote ? » répéta Marguerite toute surprise.

Charles lui expliqua avec une condescendance dédaigneuse le sens du mot jaboter : « Vous la connaissez bien, ma mère ; une fois qu’elle y est, elle n’en finit plus.

— Oh ! monsieur Charles, que c’est mal !

— Oh ! monsieur Charles, reprit le mauvais drôle en contrefaisant le ton de Marguerite, que c’est mal de mettre du sable dans sa casquette, et de ne pas dire merci quand on vous verse à boire !… À propos, j’ai vu le moucheron.

— Quel moucheron ?

— Ah ça ! vous ne savez donc pas le français ici ? Alors qu’est-ce que Mademoiselle vous apprend donc ? Tout le monde sait que le moucheron, c’est le petit garçon. Eh bien ! là, entre nous, il n’est pas beau le moucheron. »

Ici, l’indignation de Marthe éclata ; et, avant que sa sœur eût pu lui imposer silence, elle cria à Charles : « C’est vous qui n’êtes pas beau ! »

Charles fit une révérence ironique. « Grand merci, mademoiselle ; il n’y a pas de quoi, ça ne fait rien, au contraire. Seulement trouvez-en beaucoup comme ça. »

Et pour montrer sans doute que, si son visage n’est pas beau, il savait racheter cette petite disgrâce par des qualités plus sérieuses, il se mit à loucher affreusement, puis il marcha sur les mains, au grand ébahissement des deux fillettes. Quand il se fut avancé ainsi jusqu’au milieu de la salle, il se laissa retomber sur ses pieds avec la prestesse d’un saltimbanque de profession, et présenta à l’assistance une tête hérissée et un visage cramoisi.

« Eh bien ! demanda-t-il, d’un air satisfait de lui-même, qu’est-ce que vous dites de ça ?

— Vous ne devez pas rester, répondit Marguerite avec fermeté : non, vous ne le devez pas. Nous ne pouvons vous faire sortir de force, mais je le dirai à madame votre mère. »

Pour toute réponse, l’intrus ferma un œil, et gonfla sa joue avec le bout de sa langue.

« Donne-moi la main, Marthe, et sortons d’ici ; nous allons dire à maman pourquoi nous n’y pouvons pas rester.

— Pas de bêtises ! » cria le saltimbanque, battant précipitamment en retraite du côté de la porte, qu’il tira sur lui. On pouvait le croire parti, lorsqu’il rouvrit la porte, et ne montrant que sa tête, cria d’un ton goguenard : « Non ! mesdemoiselles, je vous en supplie, n’insistez pas ; il m’est impossible de rester