Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/410

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écouter ceux de Mlle Léonide, et y prit plaisir. Et comme les deux enfants disaient: « Encore encore! » elle continua à feuilleter le cahier en jouant tous les morceaux. La valse du duc de Reichstadt eut surtout un grand succès. Emmanuel, se rappelant le peu de latin qu'il savait, cria bis! et, enlevant Anne dans ses bras, se mit à tourner tout autour de la chambre. Je ne crois pas qu'il valsât bien en mesure mais il allait très-vite, et la petite riait de tout son cœur. Mlle Léonide, qui riait aussi, joua la valse plusieurs fois de suite ni elle, ni les enfants ne s'aperçurent de quelques notes timides qui s'essayaient sous la fenêtre. Aussi furent-ils bien étonnés, quand Emmanuel essoufflé se laissa tomber sur le canapé avec sa danseuse, et que l'orchestre s'arrêta, d'entendre de nouveau la valse dans la rue. Ils coururent a la fenêtre Ambroise était là avec son violon. Il s'arrèta, et porta à son bonnet sa main armée de l'archet.

« Tiens s'écria Emmanuel, il salue avec son archet comme un officier avec son sabre

Tu as attrapé l'air tout de suite, Ambroise! C'est cela qui est bien! dit la petite Anne.

— Il y manque encore quelque chose, à ton air,mon garçon, dit Mlle Léonide ce n'est nns font. à fait cela. Entre ici, que je te l'apprenne. Anne va t'ouvrir la porte. »

Anne y courut, et revint avec le petit violoneux.

« Je venais remercier Mlle Anne, dit-il je n'ai pas pu venir hier, parce que j'ai été au préveil de la Joli vetière. J'ai entendu votre air en passant; j'ai trouve qu'il serait bien beau pour faire danser, et j'ai essayé de l'apprendre tout seul. Je voulais aussi demander à Mlle Anne le nom du jeune monsieur qui s'est battu pour moi; je ne l'ai pas bien vu, et je voudrais aller le remercier aussi.

– Le dit Anne en lui montrant Emmanuel.

– Il n'y a pas de quoi, mon garçon, répliqua celui-ci je me suis battu pour mon plaisir.

C'est égal, merci tout de même; vous m'avez donné un fameux coup de main vous êtes bien heureux d'être si fort. Sans vous, je crois qu'ils m'auraient tué.

Je demandais justement à Anne de me mener chez vous, pour voir s'ils ne vous avaient rien cassé.

– Oh! non; j'ai seulement été un peu moulu, mais à présent il n'y parait plus. »

Et Ambroise, s'approchant du piano, essaya de nouveau la valse riuduc de Ueickstadt. Mlle Léonide la jouait avec un doigt, rectifiant à mesure les fautes de l'enfant.

« Plus haut, plus bas lui disait-elle c'est un fa dièse qu'il faut, c'est un si bémol. »

Ambroise avait compris bien vite ce que c'était que de jouer plus bas ou plus haut, et il l'exécutait à l'instant où M"e Léonide le lui disait mais un fa dièse, un si bémol. il n'y était plus du tout. 11 cherchait, talonnait, et n'arrivait à trouver la note que quand M"" Léonide la lui avait faite sur le piano. Elle finit par comprendre que le pauvre garçon était plus ignorant on musique qu'il n'en a\ait l'air, et, s'interrompant tout à coup :

« Tu ne connais donc pas les notes? lui demandat-elle.

Non, pas du tout! répondit l'enfant confus, en baissant la tête.

Pauvre petit Allons, ne sois pas honteux, tu n'en as que plus de mérite, d'être arrivé à jouer des airs sans savoir la musique. Anne, va donc chercher une vieille méthode de violon que j'ai trouvée l'autre jour dans le grenier en rangeant la musique elle est sur le dessus de la pile. Tu la prêteras à Ambroise; il y apprendra de quoi dépasser tous les ménétriers du pays. »

Anne s'élança hors du salon, et l'on entendit, ses petits pas qui couraient sur le vieil escalier. Au bout d'un instant, elle revint chargée d'un vieux cahier relié en vert, qu'elle battait d'une main en soufflant dessus pour en enlever la poussière. Ambroise le prit en rougissant de bonheur; il n'osa pas l'ouvrir pour y regarder, mais il le mit précieusement sous son bras, remercia, et s'en alla bien vite avec son trésor.

Il marcha lestement jusqu'à la grotte; là, il s'assit sur une pierre, posa le cahier sur ses genoux, et se recueillit un instant avant de l'ouvrir. Le cœur lui battait. Qu'allait-il trouver là-dedans? Il ne s'en faisait aucune idée; mais il ne doutait pas que ce livre magique ne fût capable de faire de lui le premier ménétrier du pays: il lui semblait qu'un nouveau soleil allait l'éclairer, qu'il verrait ce qu'il n'avait pas encore vu, qu'il comprendrait ce qu'il n'avait pas encore compris.

Ambroise donc, tout tremblant, ouvrit sa méthode