Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/416

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jeunes clercs qui la commentaient en entrant aux écoles « Eh messeigneurs, se prit à leur dire fièrement le vieux portier, c'est que je l'ai connu, moi, le Saint-Père Clément VI; je l'ai vu là comme je vous vois; je l'ai entendu comme je vous entends; on l'appelait alors Pierre Roger, il était du collège de Narbonne, et tous lés écoliers d'alors n'avaient de sentiments que." les siens, d'opinion que la sienne tout simple clerc qu'il était, on l'écoutai déjà comme un docteur. Ah 1 une forte tête, oui.11 me disait parfois en riant « Maître'Antoine, quand je serai pape, viens me trouver, et tu seras content de -moi. » Et c'est qu'il est devenu pape, voyez-vous, comme il Tavait dit]. 'Et 'c'est qu'il.se souvient de l'Université, et si, j'allais lui dire: « Me voilà », bien sûr, il se rappellerait' les paroles dites à maître Antoine. Mais je suis trop vieux pour, un, tel' voyage 1. Eh, tenez, je me.rappelle,-un jour il était monté dans la chaire, *là, au fond, et il' parla justement de cette affaire de la petite Seine. Ah il fallait l'entendre. Ce fut même moi qui lui .criai-: -« Voilà le maître I' » a pour qu'il descendît de la chaire. 'Je m'en souviens d'autant mieux que ce fut ce même jour, dans la même chaire,1 que l'illustre Jean Buridan, alors procureur de Picardie, émit cette fameuse proposition ^qui fera vivre son nom bien'longtemps. Vous savez laquelle ?

– Certes. dirent gravement aussitôt plusieurs écoliers la' proposition de l'âne.

– Le soir, au Pré, Pierre Roger fut choisi,pour serendre.auprèsdu Saint-Père au nom de l'Université. Ce fut son premier pas, qui le fit remarquer en cour pontificale, .et qurl^a niené loin, comme vous voyez! 1 Dieu vous en octroie un\pareil, messeigneurs! .'– Certes,! s firent enèor'e les écoliers. `

IV

Or, les'scènes que nous venons de rapporter avaient pour théâtre "la rue dite depuis dû Fouarre, – ou plutôt de'la paille, – non pas seulement parce que la coutume dè ces vieux temps voulait que les salles des ^écoles qui ,s'y trouvaient reçussent, au lieu de "bancs et de pupitres, un lit de paille fraîche sur laquelle les écoliers s'asseyaient ou s'agenouillaient pour entendre les leçons, mais encore et surtout parce que là. résidaient les marchands de fouarre 1, chez qui les écoliers venaient s'approvisionner pour l'usage des écoles, – lesquelles étaient principalement, mais non pas exclusivement, situées en cet endroit. -Que d'hôtes illustres compta cette rue 1 que de questions profondes y furent débattues laissant loin, notons-le bien, la- proposition ironiquement fameuse de Jean Buridan Combien de choses enfin rappelle ce tronçon de voie étroite que, des travaux de viabilité vont bientôt faire disparaître,

Nous avons essayé d'y revivre un moment au milieu ̃i Du mot fouarre, foarre, foerre, s'est formé notre mot actuel fourrage.

de sa turbulente, mais ardente et pittoresque population d'autrefois. Quelques coups de pioche, et il ne restera plus qu'un nom.

Le nom après tout est bien quelque chose, surtout quand il est, comme celui-là, tout entouré de vivants et glorieux souvenirs. ¡

L'ONCLE Anselme.

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UNE MOUCHE QUI VOLE

Une mouche qui vole! Il n'en faut pas plus, dit-on, pour déranger un écolier.

Peut-être bien, en cherchant dans mes souvenirs, trouverais-je, moi aussi, cet innocent insecte à l'origine de quelques-uns de mes péchés/tde jeunesse. Oserai-je vous avouer, puisque me voilà sur la route des aveux, que les heures de la classe me paraissaient parfois un peu longues. Cent vingt minutes de grec ou de latin, quand le soleil brille au dehors, lorsque la'balle rebondirait si bien sur le mur nouvelle.ment blanchi, et que le ballon s'enlèverait triomphant à travers les tilleuls, déchirant le feuillage et retombant au milieu des verts débris 1 Je gémissais tout à coup'. L'ennui venait le bâillement a sa suite. Que faire, que devenir, pendant cet interminable corrigé où chaque syllabe semble une page à l'écolier -paresseux?, J'aurais donné Troie, et le vieux Priam, Agamemnon et toute l'armée des Grecs pour un pauvre petit incident venant rompre la monotonie de- ces -heures désolantes.

30 bonheur,! voilà une mouche qui s'abat sur le re,bord de mon encrier. Elle goûte à l'encre, elle semble .la trouver bonne; sa petite trompe plonge et replonge dans le noir liquide avec autant d'ardeur que scelle d'une abeille qui -fait son miel. Mais que de précautions pour ne pas salir son fin corselet dont j'admire Ja nuance jaunâtre et cendrée! Comme elle craint le contact de l'encre pour ses ailes délicates et transparentes que le centième d'une goutte suffirait pour alourdir! Je me demande combien il faudrait de milliers de mouches pour absorber le contenu de mon encrier, combien de centaines de millions pour pomper toute l'encre de la terre.

Un instant, le mauvais esprit me souffle que je pourrais enfermer ma petite amie au fond d'un cornet de papier où elle bourdonnerait très-gentiment, mais il ne faut pas faire souffrir les animaux, et Dieu sait quelles angoisses doivent troubler la cervelle d'une mouche qui se trouve captive au Tond d'un abîme sans issue.

Comme si elle lisait dans ma pensée, elle me regarde tout à jçoup_d_e_ses gros yeux saillants, et s'envole rapide.

O merveille ! Un bienfait 'n'est jamais perdu. La