Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/65

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dâmes à nos mules de quitter la terre ferme ; mais, étant parvenus, à force de coups de pied et de coups de bâton, à les convaincre de l’inconvenance de leur conduite, nous réussîmes à les conduire à bord et à les attacher à leurs râteliers. Après les avoir débarrassées de leurs fardeaux, nous leur donnâmes une assez forte ration pour qu’elles pussent être de bonne humeur durant la longue traversée qu’elles avaient à faire le lendemain, et nous revînmes à terre pour prendre congé des amis que nous quittions et passer une dernière nuit à rêver aux lingots d’or que le Fraser ne pouvait manquer de tenir en réserve pour nous… sinon pour d’autres.

Le matin suivant, au lever du jour, nous partîmes, après avoir eu la petite aventure suivante.

Un de nos compagnons de voyage, dont les pas mal assurés se ressentaient des libations trop copieuses de la veille, ne trouvant pas assez large la planche qui conduisait du quai au bateau, tomba dans l’eau, à la grande consternation de tous. Comme le pauvre garçon ne savait pas nager et que personne ne s’empressait de lui porter secours, je me jetai après lui et je parvins à le conduire jusqu’à un endroit, où prenant pied, je cherchai à le tirer hors de l’eau. C’était en vain que je le tenais par le bras : mon protégé n’avait plus de jambes, et il retomba à l’eau, m’entraînant avec lui et me serrant si fort que je ne pouvais lui être d’aucun secours ni me sauver moi-même. Je commençais à boire et à perdre ma présence d’esprit, lorsque, saisissant un moment favorable, je lui administrai un si violent coup de poing sur le nez, qu’il lui fallut bien me lâcher et couler à fond sans moi. Un bateau arriva à notre secours sur ces entrefaites, je me hissai dedans tout à fait épuisé, et l’objet de mes tendres soins ayant reparu à la surface, fut rattrapé et mis à bord plus mort que vif.

Quand il eut entièrement repris ses sens (et le repos qu’il prit après le bain ne lui fut pas inutile), il m’embarrassa autant par la chaleur de ses remercîments—il était d’origine irlandaise—qu’il m’avait auparavant embarrassé par la vigueur de ses étreintes aquatiques. Heureusement, son nez enflé nous fournit matière à rire : il protesta longuement de la joie qu’il éprouverait à voir son nez rester assez longtemps dans cet état pour lui servir d’avertissement contre l’abus des liqueurs fortes. Je crois que le brave garçon se serait après cela fait couper en morceaux pour moi, et, en vérité, quand plus tard l’occasion s’en présenta, il ne manqua pas d’en profiter pour me témoigner sa reconnaissance.

Au bout de dix heures environ de tours et de détours au milieu des îles nombreuses qui font du golfe de Géorgie le lieu du monde le plus charmant que l’on puisse imaginer, nous atteignîmes l’embouchure du Fraser, et nous fûmes bientôt en vue de New-Westminster, capitale de la Colombie anglaise, petite ville nouvellement éclose sur un des plus beaux sites que présentent les rives du fleuve. La ville est souvent désignée par le surnom de Stump City (la ville des troncs d’arbre), et il faut avouer que nul surnom ne fut mieux mérité. Une immense forêt de cèdres et de pins a été en partie abattue pour faire place aux rues irrégulières et aux chalets épars qui forment la noble capitale de la colonie. Les troncs noirs des arbres énormes s’élèvent de toutes parts, comme pour railler la puissance de destruction de l’homme, depuis la berge du fleuve jusqu’aux sombres massifs de la forêt sur lesquels il n’a pas encore étendu son domaine, et défient les impuissants efforts de leurs chétifs ennemis.

L’aspect de la ville ne nous en causa pas moins un sensible plaisir, car nous pouvions espérer d’être promptement délivrés de la nuée de moustiques qui s’était abattue sur nous depuis le moment que nous étions entrés en rivière. Ce fut pleins de joie que nous débarquâmes, en présence de tout ce que la population comprenait d’hommes, de femmes et d’enfants accourus à l’arrivée du bateau, seul événement qui vînt faire diversion à la monotonie de leur existence et leur offrir la chance de gagner de quoi vivre en exploitant sans pitié les voyageurs.

À suivre

R. B. Johnson. Traduit de l’anglais par A. Talandier.


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UNE PLUIE D’ÉTOILES

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Pendant la nuit du 27 au 28 novembre dernier, depuis la chute du jour jusqu’aux premières lueurs de l’aube, le ciel a été le théâtre d’un phénomène splendide. Une véritable pluie d’étoiles filantes n’a cessé d’illuminer l’atmosphère ; les météores, s’élançant d’une région du ciel située aux confins de Persée, d’Andromède, du Taureau, projetaient dans tous les sens leurs sillons enflammés, et, décrivant des courbes gracieuses, s’évanouissaient tour à tour comme les étoiles d’un feu d’artifice.


C’est, en effet, un’ véritable feu d’artifice céleste que cette apparition, singulière dont on a déjà vu maints exemples/ mais qui cette fois’ était tout à fait inattendue. En bien des pays on n’a pu l’observer : les temps affreux, le ciel sombre, les pluies continues qui sont depuis plus d’un mois le partage d’une bonne partie des régions occidentales de l’Europe, out ôté toute possibilité à ceux qui aiment à observer le ciel, d’apercevoir la plus mince éclaircie, le moindre coin d’azur, pendant la nuit qui a été témoin de cette splendide averse d’étoiles filantes. Heureusement, dans le centre et le midi de la France et en Italie, la voûte céleste s’est trouvée assez pure, assez dégarnie de nuages, pour que de nombreux observateurs aient pu noter toutes les circonstances du phénomène, compter approximativement le nombre des météores, en apprécier l’éclat, la cou-