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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/115

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connue d’avance par une révélation. Et pourtant il ne pouvait réciter les faits comme on les lisait dans les histoires. La disproportion eût été trop grande entre les deux parties de son horizon prophétique, celui qui était déjà passé au temps de l’auteur réel, et celui dont il s’efforçait de sonder les ténèbres. Le symbolisme qui était le langage approprié pour le thème céleste ou futur encore indistinct, s’imposait donc aussi pour le passé et même pour le présent.

Ainsi tout s’harmonisait, et l’avenir semblait sortir des données du passé. L’esprit du lecteur qui s’ingéniait à déchiffrer des histoires connues dans les images dont il suivait le développement, en pressentait le dénouement sans trop de peine ; le point de suture, — le présent, — contenait en soi les solutions prédestinées. Ainsi les allégories des divers animaux ou des semaines dans Hénoch, de l’aigle dans Esdras, de l’arbre dans Baruch.

A la vision rapide du prophète, suggérant un sens précis, telle une vue isolée projetée sur la toile lumineuse, avait succédé le cinéma des faits en mouvement vers l’avenir. Une explication eût été nécessaire, toujours comme dans le cinéma encore imparfait, pour lier l’un à l’autre des tableaux incohérents. La même comparaison ne pouvait suffire à tout ; elle devait se transformer pour exprimer des choses nouvelles, ce qui n’allait pas sans violence et sans bizarrerie. D’autres fois les images se succèdent, toujours plus étranges pour surexciter l’attention et, pour graduer l’horreur croissante des catastrophes, on aboutit à des exagérations de style qui ne font plus aucune impression, tant elles s’éloignent des réalités.

Le passé et l’avenir envisagés sous une même lumière, dessinés par les mêmes symboles, sous l’aspect de choses révélées par celui qui les met en branle, ce n’est plus l’enchaînement des faits naturels, causés par la nature ou par la volonté humaine, c’est le spectacle des œuvres de Dieu, déroulées selon ses desseins. Ce n’est pas que la causalité divine soit, dans l’apocalyptique, plus intime et plus profonde que dans la prophétie ; elle y est pour ainsi dire étalée, exprimée par des ressorts dont on voit le jeu, plutôt que pénétrée dans son énergie secrète. Le roi d’Assyrie n’était, pour Isaïe, qu’un instrument dans la main de Dieu telle une hache ou une scie mue par l’ouvrier[1]. On ne pouvait exprimer plus fortement l’efficacité de l’action divine. Mais enfin, c’était lui, le roi, qui prenait les villes. D’après Baruch ce sont les anges qui ont détruit Jérusalem et non les Chaldéens[2]. Les hommes ne sont donc plus que des marionnettes. Le gros public peut s’y tromper ; le voyant laisse apercevoir aux plus

  1. Is., x, 15.
  2. Apoc. Bar., vii, 1.