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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/125

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le trouver, il faut faire un long voyage. Encore le plus souvent ne daigne-t-il pas parler lui-même, ou par un ange qui parle en son nom[1] : il a ordinairement un interprète qui n’est qu’un de ses ministres. Hénoch, enlevé par les anges, approche d’un palais en pierres de grêle, entouré de flammes, habité par des Chérubins. Ce n’est qu’un corps de logis pour les gardes, ce n’est pas encore la demeure du Roi. Il arrive enfin devant un édifice bâti en langues de feu, et si excellent en magnificence, en splendeur et en grandeur, qu’il renonce à le décrire : « Son sol était de feu ; des éclairs et le cours des étoiles formaient sa partie supérieure, et son toit, lui aussi, était de feu ardent[2] ». C’était encore relativement simple ; dans l’Hénoch slave[3] et dans l’apocalypse d’Abraham, l’itinéraire est beaucoup plus compliqué.

La religion chrétienne, la première, nous a habitués à l’adoration d’un Dieu présent partout, mais surtout dans les âmes, non seulement proche de nous, mais en nous, sans que cette pénétration intime porte atteinte à sa transcendance. Les Israélites avaient du moins conscience de posséder leur Dieu parmi eux, toujours disposé à accueillir leurs hommages et à exaucer leurs prières. Si la religion a pour but d’unir l’homme à Dieu, cette religion était plus parfaite que celle de l’apocalyptique.

Il ne semble pas cependant que cette transcendance soit un emprunt à la théorie d’Aristote sur le premier moteur, tellement distinct du monde qu’il ne l’a pas créé et ne le connaît même pas. Les voyants n’ont point oublié l’enseignement des Saints Livres. Leur Dieu est toujours le Dieu d’Israël, unique, créateur du monde, tout-puissant, très sage, juste et rémunérateur. Même l’attribut de justice est fortement mis en lumière par l’attente assurée du grand jugement. Ils ont été choqués du polythéisme dont l’idolâtrie était le degré le plus bas, par le mélange de la divinité avec le bois et la pierre. Ils ont réagi avec vigueur. Le livre des paraboles d’Hénoch nomme avec emphase Dieu le Seigneur des Esprits[4], moins sans doute pour se rapprocher du spiritualisme immatériel de Platon et d’Aristote que pour donner à entendre que Iahvé Sebaoth, le Dieu des armées, était le Dieu des anges, êtres qui ne prenaient un corps que pour apparaître aux hommes. Mais c’est précisément parce que Dieu est esprit qu’il est présent partout et qu’il agit en tout. Les apocalypses n’ont pas su le comprendre : elles ont privé le cœur de la satisfaction de posséder Dieu tout proche, sans donner gain de cause à l’intelligence qui exige la transcendance, mais sait la concilier avec cette union.

  1. Comme l’ange de Iahvé, déjà un intermédiaire ; cf. RB., 1903, p. 212 ss.
  2. Hénoch éth., xiv, 7.
  3. VIII, XXII. Jusqu’au dixième ciel.
  4. Voir plus loin, p. 257.