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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/124

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Loin de renoncer aux passions nationales d’Israël, elle les a poussées jusqu’à l’exaspération, tout en demeurant sous l’influence d’aspirations plus hautes. Les justes seront bien récompensés comme justes, et les pécheurs punis comme méchants : mais il va sans dirp que les justes sont le véritable Israël. L’ancienne prophétie, loin d’être entendue dans un sens spirituel, a souvent été matérialisée. Le tableau nouveau qui serait la transposition de l’ancienne prophétie dans l’ordre spirituel, en mettant plus en relief par une véritable transformation sa valeur religieuse et morale, c’est celui qu’a tracé le christianisme. Entre l’attrait vers la puissance, le bien-être, la domination, que saint Paul disait charnel, et l’élan qui emportait déjà la prophétie vers les réalités seules dignes de Dieu, l’apocalypse hésite, ou plutôt elle veut tout accorder, c’est-à-dire qu’elle confond tout. Son tableau est comme un cliché photographique tiré deux fois, où les images seraient superposées ; tel un bric-à-brac où voisinent des objets de toutes les époques. Et ce n’est pas seulement le rapprochement de plusieurs apocalypses qui aboutirait à ce mélange. Il n’en est pas une un peu considérable qui ne soit une tentative désespérée de concilier des notions que l’auteur ne pouvait embrasser dans leurs rapports, ni ranger dans leur perspective. Le fait même qu’on a groupé dans un seul livre d’Hénoch plusieurs ouvrages distincts relève d’un état d’esprit plus disposé à accumuler les conceptions qu’à les distinguer et à les ordonner.

Nous concluons donc que les apocalypses n’ont pas abordé des sujets plus hauts que ceux de l’ancienne Écriture, et que si elles se sont complues dans le mystérieux et l’inaccessible, elles n’ont pas égalé le profond sentiment religieux des prophètes.

C’est ce qu’il nous faut voir de plus près, à propos de Dieu, de l’homme et du Messie.

On dit volontiers que le Dieu de l’apocalypse est plus transcendant. C’est là un terme fort vague. Il n’est ni plus puissant que le Dieu d’Isaïe[1], ni plus sage que le Dieu de Job[2], ni plus juste que le Dieu d’Abraham[3], ni plus miséricordieux que le Dieu de Moïse[4], nipiuslonganime que le Dieu d’Élie[5]. Mais il est moins à la portée de la prière. On a essayé de le rendre plus imposant et plus sublime, et pour cela on n’a trouvé rien de mieux que de le placer très loin et très haut. Il ne convient plus à sa Majesté de venir converser parmi les hommes ; quand on veut

  1. Is., xi, 15 ss.
  2. Job, xxvi.
  3. Gen., xviii, 22-33.
  4. Ex., xxxiv, 6.
  5. I Rois, xix, 9 ss.