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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/316

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géré. Son devoir était d’acquitter la dîme pour son compte ; il n’était pas obligé de supposer que son prochain était coupable. Et cependant les consciences avaient été angoissées à ce point que Jean Hyrcan avait dû les calmer. Il avait statué, qu’à la condition de payer une dîme supplémentaire, il était licite de manger les légumes, verts ou secs, achetés sur le marché, sans froisser sa conscience[1]. Le scrupule des Pharisiens était ainsi apaisé. Ils formaient donc déjà un corps de gens à la conscience délicate, sans cesse menacée par le sans-gêne du Vulgaire. Celui-ci sera désigné désormais par un terme qui se rencontre déjà ici, c’est le ʻAm ha-aretz[2], le peuple du pays. On a beaucoup discuté sur le sens de ce terme. Le ʻAm ha-aretz est-il le paysan, celui qui va vendre ses légumes au marché sans se soucier trop de la dîme ni de l’impureté ? Mais un citadin peut-être cet homme du pays. Est-ce un homme sans fortune ? Mais ce peut être un riche. Quelqu’un qui ne connaît pas la Loi, un ignorant ? Nous touchons au point sensible. Celui qui ne connaît pas la loi n’est pas en état de la mettre en pratique[3]. L’ignorance est donc la racine du mal. Comme ignorant, cet homme est précisément aux antipodes d’un docteur. Le docteur sait et observe l’ignorant ne sait pas et ne peut donc pas pratiquer. Or les docteurs et leurs disciples se sont constitués en un groupe. Dès lors l’opposition est toujours entre les ʻamê ha-aretz et les Khaberim, c’est-à-dire « les associés », de sorte que l’associé — le Khaber — regardera plus ou moins comme « gens du pays » tous ceux qui ne font pas partie de sa corporation.

C’est là en effet le nœud de toute la question sur le Pharisaïsme. Les Pharisiens, du moins les plus résolus d’entre eux, ont formé une sorte de congrégation — c’est leur nom de Khaberim — avec une probation suivie, si le candidat en est digne, d’une admission régulière, selon leurs principes propres déjà dégagés la connaissance et la pratique de la Loi.

Alors un ordre religieux gouverné par des théologiens ? Quoi de plus louable ?

La différence entre les ordres catholiques et la congrégation pharisienne est dans le but même de l’association. Le principe catholique est celui de la diffusion de la charité surnaturelle, fût-ce seulement, et très efficacement, par la prière, tandis que la profession de Khaber consistait à s’engager

  1. Sota 48a, commenté dans Strack-Billerbeck, II, 500 « Celui qui achèle des fruits d’un ʻAm ha-aretz doit en prélever la première et la seconde dîme ». Tout un traité de la Michna, Demaï, est consacré à ces fruits douteux (דמאי). Le terme ʻam ha-aretz remonte donc au temps du prêtre Jean, d’après la tradition qui prétend citer le texte.
  2. עם הארץ, plur. עמי הארץ. Cette forme plurielle est celle qui désigne les païens demeurés dans le pays dans Esdras, x, 2. 11 et Neh., x, 31. 32.
  3. כל שאינו למד אינו עושה ; « qui n’étudie pas ne pratique pas », dans SL, 26, 14 (451a), cité par Str.-Bill., II, p. 496. L’ignorant ne peut devenir un saint : c’est une antithèse du principe chrétien.