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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/630

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un philosophe, virtuellement. Et ce sont ces virtualités, qui ne pouvaient apparaître clairement à un docteur, que le Judaïsme, déjà rabbinique, avait étouffées.

Dans son dessein arrêté de s’isoler, il s’était circonscrit et rétréci[1]. Lorsqu’une ville forte qui se croyait en sûreté est assiégée, le premier soin de la défense est de détruire tous les établissements situés hors des murs, où l’ennemi pourrait s’abriter et réussir une attaque plus directe[2]. Ce sont les plus beaux édifices qui s’étaient étalés en espace libre, en plein air, au grand soleil, qui vont succomber sous les coups des habitants, désormais tranquilles dans une enceinte plus étroite. Ainsi le pharisaïsme palestinien, inquiet de la pénétration de l’esprit grec, peu rassuré par la malencontreuse conciliation tentée en Egypte, fit la haie autour de la Loi. Il la dépouillait en même temps de toutes ses amorces vers l’avenir, il supprimait ses virtualités surnaturelles. Sans tenir compte de l’action presque personnelle de la Sagesse, fille de Dieu, et de celle de l’Esprit-Saint, ce Judaïsme réduit consciemment la nature de Dieu à l’idéal d’une monade inféconde, isolée dans sa Majesté. Il ferme la voie au dogme de la Trinité, pour cette raison qu’il n’avait pas encore le droit d’affirmer l’existence de trois personnes dans l’unité du seul vrai Dieu. Ayant décrété que le Messie ne serait rien qu’un pur homme, si hauts que soient ses dons, il interdit à Jésus de se dire Fils de Dieu, sous peine de blasphème, sans songer que ce verdict atteignait aussi Isaïe, dont le texte acquérait un nouvel éclat.

Pénétré de cette idée que chacun peut devenir juste, non pas sans l’aide de Dieu, mais surtout par ses propres efforts, et sans que le Messie ait rien à voir dans cet ordre, il ne songeait pas à lui demander le salut de l’âme, n’attendant guère de lui que des secours temporels.

Et parce qu’il croit qu’il sera le premier, et en quelque manière le seul bénéficiaire privilégié de l’intervention de Dieu par le Messie, il est bien décidé à exiger des Gentils qui feront amende honorable, après avoir été vaincus et foulés aux pieds, de se soumettre à la Loi qui est la sienne.

  1. N’est-ce pas ce que M. Julien Weill, une des principales autorités du judaïsme français, concède presque, très discrètement, dans une brochure de propagande (Le Judaïsme, Paris 1931, p. 178) : « En réalité, la source de la mysticité juive (l’Ancien Testament !) est trop riche pour qu’elle ait jamais pu s’épuiser en Israël, même si le développement du rabbinisme de l’école, si l’étude exclusive de la Tora écrite et orale, seule patrie qui subsiste quand tout s’est écroulé, a pris, depuis l’asservissement sous le joug romain, une place prépondérante dans la vie juive ». Aujourd’hui que le rabbinisme est en recul presque partout, la mystique est en progrès. Mais une mystique qui pourrait souvent avoir sa source dans le nationalisme. Le même M. J. Weill nous dit (l. l., p. 185) : « C’est d’une mystique du sang et de la race que l’on peut parler à propos de M. Martin Buber et de son école… Conception qui, sans être à nos yeux prépondérante, a cependant sa place dans une définition des composantes du judaïsme ».
  2. En est-il de même aujourd’hui ? Je pensais à Nicosie assiégée par les Turcs.