Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 12, trad Mardrus, 1903.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
histoire de la jambe de mouton
113

aussi ! » Et bientôt, de questions en questions, les deux larrons finirent par acquérir la conviction que, depuis le jour de leur mariage, ils étaient les associés sans le savoir de la même couche et du même tison. Et ils s’écrièrent : « Éloigné soit le Malin ! Voici que nous sommes les dupes de la maudite ! » Puis, malgré que cette découverte eût failli d’abord les inciter à quelque violence, ils finirent, parce qu’ils étaient avisés et sages, par penser que le meilleur parti à prendre était encore de revenir sur leurs pas, et d’éclaircir, par leurs propres yeux et par leurs propres oreilles, ce qui était à éclaircir avec la rouée. Et, étant tombés d’accord à ce sujet, ils reprirent tous les deux la route du Caire, et ne tardèrent pas à arriver à leur logis commun.

Lorsque, leur ayant ouvert la porte, l’adolescente eut aperçu ensemble ses deux maris, elle ne put guère douter qu’elle ne fût découverte quant à sa rouerie, et, comme elle était sage et avisée, elle pensa que ce serait en vain, cette fois, qu’elle chercherait quelque prétexte pour cacher plus longtemps la vérité. Et elle pensa : « Le cœur de l’homme le plus dur ne peut résister aux larmes de la femme aimée ! » Et soudain, fondant en sanglots et défaisant ses cheveux, elle se jeta aux pieds de ses deux maris, en implorant leur miséricorde.

Or, tous deux l’aimaient, et leur cœur était lié à ses charmes. Aussi, malgré sa notoire perfidie, ils sentirent que leur attachement pour elle n’avait point été affaibli ; et ils la relevèrent et lui accordèrent son pardon, mais après lui avoir toutefois fait des remontrances, avec des yeux écarquillés. Puis,