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le diwân des facéties… (les babouches…)
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l’usage des marchands qu’Allah a favorisés d’une réussite dans un marché, il trouva plus expédient d’aller prendre un bain au hammam, où, de mémoire d’homme, il n’avait mis le pied. Et, ayant fermé sa boutique, il se dirigea vers le hammam, en chargeant ses babouches sur son dos, au lieu de s’en chausser ; car il agissait ainsi depuis longtemps, pour économiser leur usure. Et arrivé au hammam, il déposa ses babouches sur le seuil, avec toutes les chaussures qui s’y trouvaient rangées, selon l’usage. Et il entra prendre son bain.

Or, Abou-Cassem avait une peau tellement infiltrée de crasse, que les frotteurs et les masseurs eurent une peine extrême pour en venir à bout ; et ils n’y réussirent que vers la fin de la journée, quand tous les baigneurs étaient déjà partis. Et Abou-Cassem put enfin sortir du hammam, et chercha ses babouches ; mais elles n’étaient plus là, et, à leur place, il y avait une paire de belles pantoufles en cuir jaune citron. Et Abou-Cassem se dit : « Sans doute, c’est Allah qui me les envoie, sachant que je songe depuis longtemps à en acheter de semblables. Ou c’est peut-être quelqu’un qui les a troquées contre les miennes, par inadvertance ! » Et, plein de joie de se voir épargner le chagrin d’en acheter d’autres, il les prit et s’en alla.

Or, les pantoufles en cuir jaune citron appartenaient au kâdi, qui se trouvait encore au hammam. Et quant aux babouches d’Abou-Cassem, l’homme préposé à la garde des chaussures ayant vu cette horreur qui puait et empestait l’entrée du hammam, s’était hâté de les ramasser et de les cacher dans un