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les mille nuits et une nuit

Bahloul répondit : « Ô mon seigneur, la terreur est un mal sans remède ! Or, moi, je n’ai certes ! aucun reproche à faire à l’épouse que tu as eu la générosité de m’accorder, car elle est belle et modeste. Mais, ô mon seigneur, à peine étais-je entré dans le lit nuptial, que j’entendis distinctement plusieurs voix qui sortaient à la fois du sein de mon épouse. Et l’une me demandait une robe, et l’autre me réclamait un voile de soie ; et celle-ci des babouches, et celle-là une veste brodée, et cette autre d’autres choses encore. Alors, moi, je ne pus maîtriser mon effroi, et, malgré tes ordres et les charmes de la jeune fille, je m’enfuis de toutes mes forces, de peur de devenir plus fou et plus malheureux encore que je ne le suis ! »

Et c’est le même Bahloul qui refusa un jour un cadeau de mille dinars que, par deux fois, lui offrait le khalifat. Et comme le khalifat, extrêmement étonné de ce désintéressement, lui, en demandait la raison, Bahloul, qui était assis, une jambe étendue et une jambe repliée, se contenta, pour toute réponse, d’étendre bien ostensiblement, devant le visage d’Al-Rachid, les deux jambes à la fois. Et, à la vue de cette incivilité suprême et de ce manque de respect à l’égard du khalifat, le chef eunuque voulut le violenter et le châtier ; mais Al-Rachid l’en empêcha d’un signe, et demanda à Bahloul le motif de cet oubli des convenances. Et Bahloul répondit : « Ô mon seigneur, si j’avais étendu la main pour recevoir ton cadeau, j’aurais à jamais perdu le droit d’étendre les jambes ! »