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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 13, trad Mardrus, 1903.djvu/134

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les mille nuits et une nuit

Mais, ô mon frère, le dos du fils n’est jamais aussi solide que celui de son père, et je dus bientôt, tant était lourde la grosse outre parternelle, abandonner le travail pénible de l’arrosage, pour ne pas me fracturer les os du dos ou me voir irrémédiablement bossu. Et, n’ayant ni biens, ni apanage, ni l’odeur de ces choses-là, je dus me faire derviche mendiant, et tendre la main aux passants, dans la cour des mosquées et dans les endroits publics. Et, quand venait la nuit, je m’étendais tout de mon long, à l’entrée de la mosquée de mon quartier, et m’endormais après avoir mangé mon faible gain de la journée, me disant, comme tous les malheureux de mon espèce : « La journée de demain sera, si Allah veut, plus prospère que celle-ci ! » Et je n’oubliais pas non plus que tout homme a fatalement son heure sur la terre, et que la mienne devait tôt ou tard arriver, que je le voulusse ou pas. Mais l’important était de ne pas être distrait ou somnolent lors de son passage. Et c’est pourquoi sa pensée ne me quittait pas, et je veillais sur elle comme le chien en arrêt sur le gibier.

Mais, en attendant, je vivais la vie du pauvre, dans l’indigence et le dénûment, et ne connaissant aucun des plaisirs de l’existence. Aussi, la première fois que j’eus entre les mains cinq drachmes d’argent, don inespéré d’un généreux seigneur à la porte de qui j’étais allé mendier le jour de ses noces, et dès que je me vis possesseur de cette somme, je me promis bien de faire bonne chère et de me payer quelque plaisir délicat. Et, serrant dans ma main les bienheureux cinq drachmes, je m’envolai