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histoire de la princesse suleika
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et du silence, qui me disait, toute rieuse de timbre : « Pour où ? pour où, ô beau réveillé ? » Et moi, plus ému que si j’étais poursuivi par tous les gardes du harem, je voulus livrer mes jambes au vent, ne songeant qu’à arriver au palais. Mais avant que j’eusse fait quelques pas, je vis, au détour d’une allée, apparue sous la lune qui sortait de dessous un nuage, une dame de beauté et de blancheur, debout devant moi et souriante, avec deux grands yeux de gazelle amoureuse. Et son port était majestueux, comme royale était son attitude. Et la lune qui brillait dans le ciel d’Allah était moins brillante que son visage.

Et moi, devant cette apparition descendue sans doute du paradis, je ne pus faire autrement que de m’arrêter. Et, plein de confusion, je baissai les yeux, et me tins dans l’attitude de la déférence. Et elle me dit de sa voix gentille : « Où allais-tu si vite, ô lumière de l’œil ? Et qui peut t’obliger à courir ainsi ? » Et je répondis : « Ô dame ! si tu es de ce palais, tu ne peux ignorer les raisons qui me poussent à m’éloigner si précipitamment de ces lieux. Tu dois savoir, en effet, qu’il est défendu aux hommes de s’attarder dans les jardins, passé une certaine heure, et qu’il y va de la perte de la tête de contrevenir à cette défense. Laisse-moi donc, de grâce ! m’éloigner avant que les gardes m’aperçoivent. » Et la jeune dame, continuant à rire, me dit : « Ô brise du cœur, tu t’avises un peu tard de te retirer ! L’heure dont tu parles est passée depuis longtemps. Et tu ferais bien mieux, au lieu de chercher à te sauver, de passer ici le reste de ta nuit, qui sera pour toi une nuit bénie, une nuit de blancheur ! » Mais moi, plus ému