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les mille nuits et une nuit

troublée dans son esprit, et, pleine de chagrin, elle dit, en se tournant vers ses suivantes : « Hélas ! ô quel dommage ! » Et, ayant prononcé ces paroles, elle s’agita et se trémoussa comme le poulet à demi tué. Car l’amour, pour la première fois, était entré dans son sein et il produisait ses effets habituels.

Or, au bout d’un certain temps, elle put s’arracher à la contemplation du jeune homme, et elle dit tristement à ses femmes : « Vous voyez que ce jeune homme est fou du fait de son esprit habité par les genn. Et vous savez que les fous d’Allah sont de très grands saints, et qu’il est aussi grave de manquer d’égards aux saints que de douter de l’existence même d’Allah ou de l’origine divine du Korân. Il faut donc le laisser ici en toute liberté, afin qu’il vive à sa guise et qu’il fasse ce qu’il veut. Et que personne ne s’avise de le contrarier ou de lui refuser ce qu’il peut souhaiter et demander. » Puis elle se tourna vers l’adolescent, qu’elle prenait pour un santon, et lui dit, en lui baisant la main avec un respect religieux : « Ô santon vénéré, fais-nous la grâce d’élire pour ta demeure ce jardin et le pavillon que tu vois dans ce jardin, où tu auras tout ce qui t’est nécessaire. » Et le jeune santon, qui était Diamant lui-même avec son propre œil, répondit, en écarquillant ses yeux : « Nécessaire ! nécessaire ! nécessaire ! » Et il ajouta : « Rien du tout ! rien du tout ! rien du tout ! »

Alors la princesse Mohra le quitta, après s’être une dernière fois inclinée devant lui, et s’en alla édifiée et désolée, suivie de ses compagnes et de la vieille nourrice.