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histoire du gâteau échevelé…
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ton honneur les deux poules que je possède, et à te les faire rôtir au beurre de vache. Mais la misère rend l’homme aveugle et lui enlève toute perspicacité. » Et il baissa la tête, à la limite de la honte et de la confusion. Et Mârouf, à ces paroles, se rappelant son état ancien, alors qu’il était dans une misère semblable ou même pire que celle de ce pauvre fellah, se mit à pleurer. Et ses larmes coulaient abondamment entre les poils de sa barbe, et tombaient dans les plateaux. Et il dit au fellah : « Ô mon frère, tranquillise ton cœur. Je ne suis point le sultan, mais seulement son gendre. À la suite de quelques difficultés que nous avions eues ensemble, j’avais quitté le palais. Mais il m’envoie maintenant tous ces esclaves et tous ces cadeaux, pour me prouver qu’il veut se réconcilier avec moi. Je vais donc retourner sur mes pas, sans différer davantage. Quant à toi, mon frère, qui voulus me traiter, sans me connaître, avec tant de bonté, sache que tu n’as pas semé dans un terrain desséché. »

Et il obligea le fellah à s’asseoir à sa droite, et lui dit : « Nonobstant tous les mets que tu vois dans ces plateaux, je jure par Allah que je ne veux manger que de ton plat de lentilles, et que je ne toucherai point à autre chose qu’à ce pain et à ces oignons. » Et il ordonna aux esclaves de servir les mets somptueux au fellah ; et, pour sa part, il ne mangea que les lentilles de l’écuelle, le pain noir et les oignons. Et il se dilata et se réjouit, en voyant l’étonnement du pauvre fellah à la vue de tant de mets dont le parfum satisfaisait le cerveau, et de tant de couleurs qui charmaient les regards.