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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 2, trad Mardrus, 1916.djvu/44

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et lève un peu la tête vers moi, et dis-moi ce qui a pu t’arriver aujourd’hui. Car je lis bien des choses sur ton visage ! » Alors je lui dis : « De grâce, épargne-moi la peine de te répondre ! » Elle se mit alors à pleurer et me dit : « Ah ! je vois bien, à présent que je n’ai plus rien à t’accorder de mes faveurs, que tu es las et fatigué de moi ! Car tu n’es plus avec moi comme d’habitude ! » Puis elle versa d’abondantes larmes entrecoupées de soupirs ; et elle s’arrêtait, de temps en temps, pour me réitérer ses questions, auxquelles je ne faisais aucune réponse, et cela jusqu’à la nuit. Alors on nous apporta de quoi manger, et on nous présenta les mets, selon l’habitude. Mais moi, je pris bien garde d’accepter, car j’aurais eu honte de prendre la nourriture de la main gauche et peur qu’elle ne m’en demandât la raison. Je lui dis donc : « Je n’ai à cette heure aucune envie de manger. » Alors elle me dit : « Tu vois bien que je devinais. Dis-moi donc ce qui a pu t’arriver aujourd’hui, et pourquoi je te vois ainsi affligé, triste et le cœur et l’esprit en deuil. » Alors je finis par lui dire : « Tout à l’heure je te raconterai la chose, peu à peu et lentement. » À ces paroles, elle me dit d’un air dégagé, en me tendant une coupe de vin : « Allons ! mon ami, bannis les tristes pensées. Voici de quoi chasser toute mélancolie. Bois donc ce vin ; et tu me raconteras ensuite le sujet de tes peines. » Et je répondis : « Si tu le veux absolument, alors donne-moi toi-même à boire, avec ta main. » Et elle approcha la coupe de mes lèvres et l’inclina doucement, et me la fit boire. Puis elle la remplit de nouveau et me la tendit,