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les mille nuits et une nuit

dans les meilleurs rapports. Aussi je n’hésitai pas à m’embarquer avec eux sur ce navire ; et, aussitôt à bord, nous mîmes à la voile, avec la bénédiction d’Allah sur nous et sur notre traversée.

Notre navigation commença, en effet, sous d’heureux auspices. Dans tous les endroits où nous abordions, nous faisions d’excellentes affaires, tout en nous promenant et en nous instruisant de toutes les nouvelles choses que sans cesse nous voyions. Et vraiment rien ne manquait à notre bonheur, et nous étions à la limite de la dilatation et de l’épanouissement.

Un jour d’entre les jours, nous étions en pleine mer, bien loin des pays musulmans, quand soudain nous vîmes le capitaine du navire se donner de grands coups au visage, après avoir longtemps scruté l’horizon, s’arracher les poils de la barbe, déchirer ses habits et jeter à terre son turban. Puis il se mit à se lamenter, à gémir et à pousser des cris de désespoir.

À cette vue, nous entourâmes tous le capitaine et nous lui dîmes : « Qu’y a-t-il donc, ô capitaine ? » Il répondit : « Sachez, ô passagers de paix, que le vent contraire nous a vaincus et nous a fait dévier de notre route pour nous jeter dans cette mer sinistre. Et, pour mettre la dernière mesure à notre malechance, le destin nous fait aborder à cette île que vous voyez devant vous et dont jamais personne, après y avoir touché, n’a pu se tirer avec la vie sauve. Cette île est l’Île des Singes ! Je sens bien, dans le profond de mon intérieur, que nous sommes tous perdus sans recours ! »