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le parterre fleuri… (l’âne)
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sais de marcher, et tu me lançais mille jurons que je n’oserais jamais te répéter. Tout cela ! et moi je ne pouvais guère me plaindre, puisque la parole m’était enlevée, et c’est tout au plus si, des fois, mais rarement, je réussissais à péter pour remplacer la parole qui me manquait ! Enfin, aujourd’hui ma pauvre mère a dû certainement se souvenir de moi avec aménité, et la pitié a dû entrer dans son cœur et l’inciter à implorer pour moi la miséricorde du Très-Haut. Or c’est, je n’en doute pas, par l’effet de cette miséricorde que tu me vois maintenant revenir à ma forme première humaine, ô mon maître ! »

À ces paroles, le pauvre homme s’écria : « Ô mon semblable, pardonne-moi mes torts à ton égard, par Allah sur toi ! et oublie les mauvais traitements que je t’ai fait endurer à mon insu ! Il n’y a de recours qu’en Allah ! » Et il se hâta de défaire le licou qui attachait le larron, et s’en alla bien contrit à sa maison, où il ne put fermer l’œil cette nuit-là, tant il avait de remords et de chagrin.

Quelques jours après, le pauvre homme alla au souk des ânes, pour s’acheter un autre âne, et quelle ne fut point sa surprise de retrouver sur le marché son premier âne sous l’aspect qu’il avait avant son changement ! Et il pensa en lui-même : « Certainement le vaurien a dû commettre encore quelque délit ! » Et il s’approcha de l’âne, qui s’était mis à braire en le reconnaissant, se pencha sur son oreille et lui cria de toutes ses forces : « Ô l’incorrigible vaurien ! tu as encore dû outrager et frapper ta mère, pour de nouveau être ainsi transformé en âne. Mais, par Allah ! ce n’est pas moi qui t’achèterai encore ! »