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les mille nuits et une nuit

sur toi ! ô visage blanc, lui faire part de mon désir de le revoir ! Dis-lui : « C’est Ibn Al-Mansour qui attend à la porte ! » Le nègre s’en alla et, au bout de quelques instants revint me prévenir que son maître pouvait me voir. Il me fit entrer en me disant : « Je te préviens qu’il n’entendra rien de ce que tu lui diras, à moins que tu ne saches le toucher par certaines paroles ! »

Je trouvai, en effet, l’émir Jobaïr étendu sur sa couche, le regard perdu dans le vide, le visage bien pâle et amaigri, et méconnaissable vraiment. Je le saluai aussitôt ; mais il ne me rendit pas le salam. Je lui parlai, mais il ne me répondit pas. Alors l’esclave me dit dans l’oreille : « Il ne comprend que le langage des vers ! Pas autre chose ! » Or par Allah ! moi je ne demandais pas mieux, pour entrer en causerie avec lui. Je me recueillis donc un instant ; puis, d’une voix distincte, j’improvisai ces vers :

« L’amour de Sett Badr te tient-il encore à l’âme, ou as-tu trouvé le repos après les transes de la passion ?

Passes-tu toujours tes nuits dans les veilles, ou bien tes paupières connaissent-elles enfin le sommeil ?

Si tes larmes suivent encore leur cours, si tu nourris encore ton âme de désolation, sache que tu atteindras le comble de la folie ! »

Lorsqu’il entendit ces vers, il ouvrit les yeux et me dit : « Sois le bienvenu, Ibn Al-Mansour ! Les choses ont pris en moi une tournure grave ! » Je répondis aussitôt : « Puis-je au moins, seigneur, t’être