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L’auteur de l’Assomption de Moïse est un croyant, on dirait presque un fanatique ; ce n’est point un théoricien. L’intervention de Dieu, l’ange ou le messager, sont des objets de foi sur lesquels il s’abstient de raisonner. Nous serions fort embarrassé de dire ce qu’on entendait par là dans les cercles apocalyptiques, si ces énigmes n’avaient été longuement agitées dans un ouvrage spécial, le Livre des Paraboles, la pièce la plus importante du Livre d’Hénoch[1]. C’est aussi le plus mystérieux de ces livres, et un des plus ardus à dater. Il paraît difficile de remonter au delà de l’an 40 avant Jésus-Christ, à cause d’une allu-

  1. Hén. xxxvii-lxxi.

    En corrigeant les épreuves, je suis heureux de signaler l’article de M. Léon Gry, dans le Muséon (1908, p. 27-71), sur La composition littéraire des paraboles d’Hénoch. Après M. Appel (Die Komposition des aethiop. Henochbuches, dans les Beiträge z. Forder. d. christl. Theol., 1906, III), mais avec plus de modération et de tact, et en faisant d’expresses réserves sur la certitude des résultats, M. Gry distingue dans le livre des Paraboles, outre les fragments noachiques déjà reconnus de tous les critiques : 1) quelques fragments du Livre des Secrets célestes, xli, 3-9 ; xliii, 1-3 ; xliv ; lix; — 2) une source I qui aurait fourni les chap. xxxix, 12-xli ; xliii, 3 ss. ; xlvi ; lii, 1-5 ; lxi, 1-3 ; peut-être aussi xxxviii ; xlv, 1-3 ; lviii ; xlviii, 8-xlix ; — 3) une source II contenue dans les chap. lii, 5-liv, 7 ; lv, 3-lvi, 6 ; lvii, 3-lxiii, 2…, 11 et 12 ; — 4) une source III, ou source de Sagesse, xxxix, 3-12 ; xlviii, 1 et xlii. L’intérêt messianique de cette analyse est que M. Gry croit reconnaître dans la source I un Messie qui « emploie les moyens naturels d’action. C’est lui qui jette à bas le trône des rois (xlvi, 4) : il se sert des métaux cachés que connaît Hénoch, et il devient puissant sur terre (lii, 1-3). En un mot, il reste roi vainqueur. En II, le Messie est, avant tout, un juge, doué, il faut le dire, de qualités surnaturelles, puisque les métaux qui sont la ressource des pécheurs fondent à son approche » (lii, 5) (p. 55). — S’il nous est permis de dire ici notre sentiment, la distinction de ces deux sources, qui paraît surtout fondée sur la présence de deux anges, « l’ange de paix » et « l’ange qui était avec moi », n’est guère probable, d’autant qu’il faudrait supposer que le rédacteur a identifié ces deux anges pour cacher son jeu, car ils sont identifiés dans le livre que nous possédons. Quant à attribuer à deux sources les deux allusions, qui se suivent, aux montagnes des métaux, cela est tout à fait invraisemblable, et M. Gry nous indique lui-même, après M. Martin, comment on peut concilier l’opposition apparente des versets 4 et 6 du chap. lii. Les métaux dont les méchants comptaient se servir sont anéantis à l’arrivée du Messie. Le v. 4 est le seul indice d’un Messie se servant des moyens naturels. « Il me dit : « Tout ce que tu as vu servira au pouvoir de son Messie pour qu’il soit fort et puissant sur la terre ». Mais M. Martin nous avertit que le sens de l’éthiopien peut être aussi bien « sera au pouvoir », en harmonie avec le v. 6 : « Les montagnes que tes yeux ont vues, la monfagne de fer, la montagne de cuivre, la montagne d’argent, la montagne d’or, la montagne d’airain et la montagne de plomb, elles seront toutes devant l’Élu comme la cire devant le feu... ». A supposer que le v. 4 n’ait pas été interpolé, comme le pense M. Martin, l’allusion à la terre n’implique pas l'emploi de moyens naturels pour obtenir la victoire. El il en est de même au chap. xlvi, 4 : le Fils de l’homme est un vainqueur, cela va de soi, mais un vainqueur céleste. Il renversera ses ennemis de leurs trônes (v. 4 et 5), mais aussitôt les ténèbres seront leur demeure et les vers leur couche (v. 6). Il s’agit donc encore ici uniquement du dernier jugement, quoique la scène en soit sur la terre, d’ailleurs comme dans Daniel, et non point du Roi Messie à l’instar des Psaumes de Salomon.

    Signalons encore une divergence entre les idées exprimées dans ce livre et l’opinion très autorisée de M. Gry. Dans le chap. lxxi où Hénoch devient fils de l'homme, il pense qu’il faut parler de la prédestination d’Hénoch, non de vocation messianique. « Pour le rédac-