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Ces interpolations pourraient être d’origine juive. Un juif a pu être tenté d’introduire le Fils de l’homme dans le livre des Paraboles, pour empêcher les chrétiens d’argumenter du Fils de l’homme de Daniel en faveur de Jésus. Si le Fils de l’homme, assimilé à l’Élu, n’avait eu aucune existence terrestre, ce ne pouvait donc être le charpentier de Nazareth. Nous avons une preuve certaine que les Rabbins juifs ont argumenté dans ce sens. Rabbi Abahou de Césarée (vers 280 ap. J.-C.) disait : « si un homme dit : je suis Dieu ! Il ment ; s’il dit : je suis Fils de l’homme ! il finira par s’en repentir ; s’il dit : je monte au ciel, il ne fera pas ce qu’il a dit et ne pourra pas accomplir ce qu’il a énoncé ». La polémique anti-chrétienne est évidente[1].

Elle n’est guère moins claire dans ce même livre des Paraboles, lorsque Hénoch est enlevé auprès de l’ancien des jours qui déclare solennellement qu’il est le Fils de l’homme[2]. La contradiction est si flagrante avec ce qui précède qu’il est impossible d’attribuer ce passage à l’auteur principal. Ce ne peut être qu’une retouche intentionnelle pour reporter sur Hénoch les prédicats glorieux du Fils de l’homme. Or cette interpolation a pu être précédée d’autres retouches faites dans le même sens. Cette polémique très déguisée serait assez dans le goût des Juifs qui ont toujours préféré procéder contre les chrétiens par des allusions voilées.

D’autres pourraient estimer que ces interpolations — si ce sont bien des interpolations — sont d’origine chrétienne. Un chrétien n’eût pas eu l’idée d’écrire tout ce livre sans faire allusion à la vie de Jésus, mais voyant l’Élu investi de la qualité de juge suprême, il était assez naturel qu’il l’appelât de temps en temps Fils de l’homme, en supposant connues ses destinées telles qu’elles étaient racontées dans les Évangiles. L’Élu était ainsi assimilé à. Jésus qui avait pris le titre de Fils de l’homme ; le voyant antédiluvien était censé n’avoir décrit que sa gloire, non sa carrière mortelle. Ce qui confirme cette supposition, c’est que cette partie du livre d’Hénoch est la seule, parmi toutes les apocalypses[3], qui offre des rapprochements frappants avec les

  1. Reconnu par Bacher, Die Agada der Pal. Amoräer, II, p. 118. Ce passage qui se trouve dans Michna Ta’anith a été mal compris par Schwab, Talmud de Jérusalem, vi, p. 156. Avec son radicalisme accoutumé, M. Schmidt (Enc. bibl., loc. laud.) suppose une altération du texte du Talmud et voudrait faire accroire que, d’après R. Abahou, Jésus se donnait seulement pour un homme. Nous reviendrons sur ce texte ; cf. p. 226 s.
  2. lxxi, 14 : « Et elle (la tête des jours) vint à moi, et elle me salua de la voix et me dit : « Toi, tu es le fils de L’homme qui a été engendré pour la justice, et la justice demeure sur toi, et la justice de la tête des jours ne t’abandonnera pas » (Trad. Martin). Cela est bien différent du titre de fils de l’homme donné à Hénoch (lx, 10) sans affectation spéciale, comme à Daniel lui-même (viii, 17) ou à Ézéchiel (passim).
  3. Sauf bien entendu les Testaments des XII Patriarches, qui ne sont pas proprement