Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la carrière du Messie. Si Esdras s’est vraiment décidé à le faire mourir, c’est pour se débarrasser de lui et n’avoir plus à en tenir compte lorsqu’il traitera de l’eschatologie cosmique et transcendante. Le Messie disparu, le jugement appartient à Dieu seul, et le Messie ne figure même pas dans le monde de l’au-delà. Esdras n’a pas voulu le supprimer, ni lui donner un rôle dans les fins absolument ultimes ; le résultat de ce compromis est un temps messianique qui clôt l’histoire, sans inaugurer le monde à venir. Mais un second compromis se greffe sur le premier ; le Messie qui joue un rôle terrestre est celui des autres apocalypses antérieures, un Messie préexistant. En aucun cas on ne peut attribuer à l’auteur deux existences du Messie, l’une humaine et cachée, l’autre glorieuse. Il ne connaît que la manifestation glorieuse d’un Messie réservé pour jouer le rôle que lui impose la tradition. Ce n’est plus l’Élu du livre des Paraboles, qui paraît pour juger et pour demeurer à la tête des élus ; celui d’Esdras vient sauver les restes d’Israël ; après quoi on n’entend plus parler de lui.

On aboutit donc à une construction hybride ; mais, manifestement, l’ensemble est beaucoup moins transcendant que dans le livre des Paraboles.

Si c’est bien le texte primitif qui fait descendre le Messie de David et qui le fait mourir, il n’y a plus guère de différence entre ce Messie et le Messie des rabbins que l’allusion à Daniel, plus nette dans Esdras, ce titre de Fils que Dieu lui donne et qu’ils ont évité, avec une allure plus transcendante, des dons surnaturels plus extraordinaires, un règne moins purement humain que celui que décrivent les Psaumes de Salomon. Ainsi la combinaison essayée par Esdras manque de franchise ; le Christ rentre dans l’horizon historique, pour y jouer un rôle presque uniquement prodigieux. La nouvelle Sion participera à ce caractère[1]. Ce n’est pas une restauration naturelle, si brillante qu’on puisse l’imaginer ; c’est l’apparition d’une cité invisible[2] qui

    Messias meus et omnes qui spiritum habent homines ; arabe1 vii, 28 nam filius meus Messias apparebit cum iis, qui ad eum pertinent, et iucundabit eos, qui relicti erunt circiter cccc annis; arménien vii, 28 tunc apparebit Unctus Dei manifestus hominibus et laetos reddet eos, qui manserunt in fide et in patientia. — Il est assez probable que le texte primitif ne contenait ni la mort du Messie, que des chrétiens ont cru devoir mentionner, ni le temps de l’ère messianique, que les uns ont évaluée à quatre cents ans, selon la tradition juive, les autres à 30 ans, en conformité avec l’existence terrestre de Jésus dont le nom a même été introduit dans le latin.

  1. xiii, 36 : Sion autem veniet et ostendetur omnibus parata et aedificata, sicut vidisti montem sculpi sine manibus.
  2. vii, 26 : … et apparebit sponsa et apparescens civitas et ostendetur quae nunc subducitur terra. Sponsa est probablement le résultat d’une erreur dans la lecture du grec : ἡ νύμϕη ϕαινομένη πόλις, qu’il fallait lire : ἡ νῦν μὴ ϕαινομένη πόλις (Gunkel). Cette erreur est très naturelle sous la plume d’un scribe chrétien. — Cf. Hén. xc, 29.