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les scribes entendent se faire respecter. En réalité, on vient de le voir, Écriture et Tradition ne sont qu’une même autorité ; la Tradition, en dépit de ses prétentions à posséder une autorité égale, ayant toujours soin de s’appuyer le plus possible sur l’Écriture.

Ainsi le scribe fait dire à la lettre ce qu’il veut, mais il ne peut rien avancer sans elle ; il en abuse à sa fantaisie, et il en est l’esclave : disposition d’esprit aussi incompatible avec une exégèse littérale soignée, qu’avec une exégèse religieuse un peu libre, telle que celle des Apôtres et des premiers Pères qui allaient à l’enseignement religieux sans trop s’arrêter aux images qu’ils prenaient résolument pour des symboles. Dans cette voie, qui offre la solution du problème messianique, le rabbinisme pharisaïque s’est montré de plus en plus récalcitrant ; il a fini par se cantonner dans le sens littéral. D’où cette boutade pénétrante d’un allégoriste exagéré, que Pharisien ou coupé voulait dire ceux qui ont séparé et rejeté le sens spirituel des prophètes, ne gardant que le sens historique matériel[1]. Si l’étymologie allégorique n’est qu’amusante, il est très vrai de dire que le sens historique des prophètes était comme animé par le sens spirituel ou religieux. L’acharnement des rabbins à exiger l’accomplissement de tous les détails descriptifs de la période messianique est précisément ce qui distingue le plus leur méthode de celle des Apôtres.

Encore est-il que la fiction dont nous venons de parler est une fiction légale, imputable au système plutôt qu’aux personnes.

On a fait aux maîtres un reproche plus grave : celui d’une dissimulation délibérée, et on l’appuie sur une de leurs locutions assez courantes : « pour le bien de la paix[2] ». On lit par exemple dans la Michna : « Pour la même raison de bonne entente, on n’empêchera pas les pauvres païens de prendre part au glanage ou de ramasser des épis oubliés, ou de cueillir ceux de l’angle des champs[3] ». Cette bienveillance est assez équivoque.

Est-ce donc simplement par crainte de représailles on de mauvais traitements qu’on édicte un principe si élémentaire de charité ? Le

    si on ne le lisait dans le contexte : « Ainsi, lorsque l’ancien enseigne ce qui est contraire à la parole du Pentateuque, s’il dit par exemple qu’il ne faut pas mettre des phylactères, il n’est pas condamné à mort, car tout le monde connaît cette loi de la Bible (Deutér. vi, 8), et l’ancien ne peut tromper personne. Mais s’il enseigne ce qui est contraire seulement à la tradition fixée par les docteurs, comme d’avoir 5 cases dans les phylactères (au lieu de 4), il est condamné » (Trad. Schwab, t. XI, p. 68).

  1. Origène, in Matth. xxiii, 29 : recte Pharisaei sunt appellati, id est praecisi, qui spiritualia prophetarum a corporali historia praeciderunt.
  2. מפני דברי שלום.
  3. Guittin, v, 9. Trait Schwab, t. IX, p. 31.