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parlant des temps messianiques[1], il est assez vraisemblable que leur pensée a été traduite dans un langage moins précis que celui des premiers temps. Ces traditions répétées sans nom d’auteur ne sauraient, dans l’ensemble, avoir la même valeur que les autres, parfaitement cohérentes entre elles.

Il est vrai que M. Schürer[2] a cité un texte de la Michna qui oppose ce monde présent aux jours du Messie. Il en conclut que le monde à venir, opposé lui aussi dans tous les textes au monde présent, désigne les jours du Messie ; mais il est trop évident que deux quantités opposées à une troisième ne sont pas pour cela égales entre elles. De ce que le monde présent est distinct, soit de la période messianique, soit du monde de l’au-delà, il ne suit pas que ces deux périodes sont identiques ; elles peuvent être coordonnées. Et c’est bien ainsi que l’a entendu le judaïsme, toutes les fois qu’il a eu l’occasion de s’en expliquer avec précision. Une baraïtha reproduite dans un traité assez moderne donne la vraie notion du monde à venir :

Dans le monde à venir, il n’y a ni manger, ni boire, ni génération, ni reproduction, mais les pieux sont assis avec des couronnes sur la tête et ils se baignent dans l’éclat de la divinité, car il a été dit (Ex. xxiv, 4) : et ils virent Dieu et ils mangèrent et burent[3].

Le texte biblique allégué dit en apparence tout le contraire ; d’après lui on pourrait manger en présence de Dieu. L’auteur l’entend donc d’une façon spirituelle, comme si la vue de Dieu remplaçait le boire et le manger. Et sans doute c’est aussi par métaphore qu’ils sont assis, de sorte que probablement ce texte fait allusion au sort des âmes des justes, en attendant la résurrection. C’est d’ailleurs ce que la suite explique assez clairement.

Au temps où on disait quelquefois « le monde à venir » pour signifier les temps messianiques, on ne savait comment concilier ce bonheur purement spirituel avec les promesses du bien-être temporel. Comment entendre de l’au-delà que dans le monde à venir on n’aurait aucune peine à la vendange, que Dieu enverrait un vent qui ferait

  1. Klausner, l. l., p. 17 et 18.
  2. Schürer, Geschichte…, II3, p. 545, citant Berakoth, i, 5 : ימי חייך העולם הזה, כל ימי חייך להביא לימות המשיח. Il est vrai que M. Klausner, l. l., p. 19, cite la Michna de Jérusalem : העולם הבא להביא לימות המשיח, mais dans ce cas ce n’est plus une alternance, c’est un doublet. Il est probable que לעולם הבא a pénétré là comme une glose ; ce terme ne se trouve pas dans la traduction de M. Schwab.
  3. Kallah rabbathi, c. 2, ap. Klausner, l. l., p. 21.