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tomber les raisins et, pour employer les expressions de Rabban Gamaliel, que les femmes enfanteraient tous les jours ? Pour concilier ces deux points de vue, les amoras ont dit :

Ce que nous avons appris [du bonheur spirituel] se rapporte au temps qui précède la résurrection des morts[1] ; là au contraire on fait allusion au temps messianique[2].

La distinction n’est pas moins marquée dans le Targum entre les temps du Messie et la vie éternelle. La vie éternelle, c’est le terme dont se sert le Targum du pseudo-Jonathan pour désigner le lieu des âmes auprès de Dieu. L’âme de Moïse sera gardée avec ses pères dans le trésor de la vie éternelle[3], et de même, dans le Targum de Samuel, l’âme de David, pour échapper à Nabal[4]. Cette vie éternelle est l’équivalent du monde à venir, et distincte des temps du Messie. Dans le Targum du cantique d’Anne, Dieu, souverain du monde, a le pouvoir de faire périr et de faire remonter du chéol à la vie éternelle[5], comme de plonger les pécheurs dans la géhenne. Il peut aussi abattre les ennemis de son peuple, triompher de Gog et de Magog et prolonger le règne de son Messie[6] ; c’est une vue différente.

Le judaïsme demeura donc fidèle à la distinction maîtresse proposée par le grand amora Iokhanan, transmise par R. Khiya b. Abba[7] : « Les prophètes n’ont fait allusion dans leurs prophéties qu’aux jours du Messie ; quant au monde avenir, l’œil n’a pas vu, ô Dieu, hors de toi » (Is. lxiv, 3), comme pour exprimer qu’il était au-dessus de toute idée.

Le scoliaste de Maimonide résumait parfaitement la tradition lorsqu’il disait :

Par beaucoup d’endroits il est prouvé que le monde à venir est le monde de la récompense suscité par Dieu au temps de la résurrection ; ce n’est pas le monde des âmes que nous nommons le Paradis, mais le monde de la résurrection. Et c’est le monde que Dieu doit inaugurer après le temps du Messie et la résurrection des morts[8].

  1. C’est donc le lot des âmes séparées.
  2. Klausner, l. l., p. 22, note, propose de lire après et non avant la résurrection. Notre explication rend cette correction inutile.
  3. Ps.-Jon. sur Dt. xxxi, 16 : ונשמתך תהוי גניזא בגניז חיי עלמא.
  4. Targ. I Sam. xxv, 29.
  5. Targ. I Sam. ii, 6.
  6. Targ. I Sam. ii, 10.
  7. b. Berak. 34b : כל מנביאים כולן לא נתנבאו אלא לימות המשיח אבל לעולם הבא עין לא ראתה אלהים זולתך.
  8. Dans le Pugio fidei de R. Martin, fol. 128, observation de De Voisin.