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Il est vrai que ce texte ajoute ici des développements postérieurs, en distinguant le monde des âmes ou Gan-‘Eden, mais il a un sens juste de la tradition. Nous retrouvons la même tradition avec plus de précision encore dans un texte fort remarquable du traité Ikkarim :

Le monde à venir se prend dans le sens général et dans le sens particulier. En général il s’entend d’un degré quelconque de récompense des âmes après la mort. En particulier il s’entend du plus haut degré auquel puisse atteindre le juste parfait, et c’est le degré qui est réalisé après la résurrection des morts[1].

Le monde à venir en général, la résurrection comprise, mais sans qu’on en fixe l’époque, c’est bien la notion ancienne du monde à venir, le monde de la récompense après la mort. On a dû se demander quelle est, chez les Juifs, l’origine du « monde à venir ». S’il s’agit de l’expression seulement, la question a peu d’importance. On serait tenté de concéder à M. Schürer qu’on l’a empruntée à l’attente messianique, qui était l’annonce de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle, rénovation qu’on attendait de l’avenir. Toutefois il est remarquable qu’Éléazar de Modin a bien accepté le terme de monde nouveau pour le temps du Messie, mais réservé le monde à venir pour une autre idée. Et de fait l’usage le plus ancien ne favorise pas cette hypothèse, puisque la confusion, nous l’avons vu, est de date plus récente. L’opposition de monde à monde est très radicale, et a pu se présenter à l’esprit quand on songeait au monde où sont les morts, par opposition au monde des vivants, sauf à qualifier le monde des morts de monde à venir parce qu’il ne devait être constitué dans son éclat que par la résurrection.

Nous admettons donc plutôt que l’expression a été créée pour une idée nouvelle. Et cette idée elle-même ne paraît pas avoir découlé du messianisme. On dit assez souvent que, lorsque le judaïsme est devenu plus spirituel, l’idéal messianique, national et temporel, ne lui a plus suffi, et qu’il l’a encore idéalisé en quelque sorte par la conception du monde à venir. Mais alors on ne les eût pas distingués si nettement. Il eût suffi, pour donner satisfaction à la tendance suggérée, d’embellir le messianisme lui-même. Ce qu’il y a de vrai dans l’opinion proposée, c’est que, en effet, à une époque donnée, les Juifs ne se sont pas contentés du messianisme traditionnel. Il résolvait la question de l’avenir national ; il ne savait rien de la destinée des âmes après la mort. C’est ce problème qui se posait impérieusement à la pensée juive depuis Ézéchiel et Jérémie, et que la Révé-

  1. Pugio fidei, fol. 356.