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vantage, on reporta cette date à la création. Mais outre que ce n’est point là une préexistence divine, elle n’apparaît que dans des textes du haut moyen âge.

Il résulte bien aussi de tout cela que la condition modeste de Jésus n’était point une objection absolue à ce qu’on le reconnût comme Messie, quoique, parmi les rabbins, on aimât mieux croire le Messie complètement caché jusqu’à sa manifestation, ou plutôt on pensait que l’homme désigné par Dieu pour ce rôle deviendrait Messie, c’est-à-dire serait oint, par l’onction d’Élie, chargé de le manifester.

La gloire dont la naissance du Sauveur était dépourvue serait ainsi réservée pour son entrée en scène.


IV. — LE FILS DE L’HOMME.


Le célèbre texte de Daniel : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici que, avec les nuées, vint comme un Fils d’homme »[1], pouvait facilement être entendu du Messie. Tryphon le concède, soit qu’il représente ici la pensée du judaïsme, soit qu’il cède à l’argumentation de saint Justin. Ce texte et d’autres Écritures obligent les Juifs à attendre quelqu’un de glorieux, semblable à un fils de l’homme, pour recevoir le règne éternel[2].

Au premier abord on serait tenté de croire que les plus anciens maîtres se sont très peu préoccupés de cette personne « semblable à un homme » dont parle Daniel. On dirait même qu’ils n’en ont pas soupçonné pour la plupart le caractère messianique. A regarder de plus près, on s’aperçoit que ce passage avait fortement attiré leur attention, et même que des chrétiens le leur avaient objecté. Seulement ils ont d’abord résolument rejeté cette exégèse, et ont même affecté de la condamner sans l’entendre, par un moyen détourné.

A ce point de vue la célèbre solution de R. Aqiba, jugée si scandaleuse, mérite d’être placée dans son contexte.

R. Iokhanan, contemporain de R. Abahou (fin du iiie siècle), eut souvent maille à partir avec les Minim, qui, dans son cas surtout, sont des chrétiens. Il disait : Dans tous les passages de l’Écriture que les Minim interprètent mal, le contexte les réfute. Et il passait en revue divers endroits où le texte, qui semblait d’abord indiquer la pluralité de Dieu, devait être entendu selon un passage voisin qui montrait bien que Dieu était au singulier[3]. Il en venait au texte de Daniel : jusqu’à

  1. Dan. vii, 13.
  2. Dial. xxxii : … ὡς υἱὸν ἀνθρώπου παραλαμϐάνοντα τὴν αἰώνιον βασιλείαν.
  3. C’est ainsi que Gen. i, 26 devait être entendu d’après Gen. i, 27 ; Gen. xi, 7 d’après