Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Raschi l’entendait encore en rappelant que Rabbi, le saint, le pieux, portait sur lui les infirmités[1].

La sainteté du Messie n’était donc point un obstacle à ce qu’il expiât pour le peuple ; elle était plutôt une condition préalable exigée pour cela. Et cependant, si l’on prend dans leur ensemble les textes anciens, on voit que les écoles rabbiniques ont éprouvé une extrême répugnance à parler des souffrances du Messie.

D’abord il ne peut être question du terme technique : la douleur du Messie ; nous avons vu qu’il signifie les douleurs qui précèdent le temps du Messie. Le Messie devait précisément sauver Israël de ces angoisses extrêmes. Il était l’instrument du salut, le roi glorieux, le dominateur pacifique, renversant tous les obstacles par la force divine qui était en lui. Comment concilier cette haute situation avec celle d’un homme accablé par la souffrance ? Au premier abord l’antithèse est absolue : le Messie viendra pour régner avec éclat, non pour souffrir.

C’est bien la note qui retentit presque toujours, c’est évidemment celle qui répond le mieux au sentiment général des Rabbins.

Les anciens apologistes — et quelques modernes — ne l’ont pas suffisamment compris. Ils ont pensé que la tradition juive primitive avait servi de point d’appui à l’enseignement de Jésus et des apôtres. En réalité, les souffrances du Christ ont toujours été pour le judaïsme un objet de scandale ; saint Paul ne l’ignorait pas. Les apologistes, rencontrant les mêmes répugnances, ont essayé de trouver dans les écrits des rabbins eux-mêmes la preuve que les anciens maîtres avaient admis les souffrances du Messie. Raymond Martini a traité le sujet avec sa maîtrise habituelle ; il prétend démontrer à ses antagonistes qu’ils s’écartent de leur tradition aussi bien que de l’Écriture. Il faut reconnaître aujourd’hui que cette argumentation exagère la portée de plusieurs textes, et ne tient pas compte de certaines distinctions appréciables. Nous la reprendrons à la suite de M. Dalman[2], dont les recherches nous ont été très utiles.

Pris dans son ensemble, le judaïsme rabbinique a fermé les yeux aux textes qui faisaient présager les souffrances du Messie. Très rarement, certains rabbins les ont admises, mais sans s’expliquer sur leur valeur expiatoire. Dans ce cas on les attribuait à l’époque où le Messie n’était pas encore reconnu comme tel, ou bien encore on supposait

  1. Pugio, fol. 672 : הוא דרבינו סובל חלאים וחסיד היה.
  2. Der leidende und der sterbende Messias der Synagoge im ersten nachchristlichen Jahrtausend, von Dr G. H.. Dalman, Berlin, Reuther, 1888. Cette précieuse brochure est presque introuvable. M. Dalman a bien voulu donner à l’auteur de ces lignes le dernier exemplaire dont il pouvait disposer.