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l’emblème du Messie fils de Joseph, comme l’âne de Zacharie est l’emblème du Messie fils de David.

A cela M. Klausner[1] a objecté que les rabbins ne créaient pas des concepts nouveaux en suite de leur exégèse, mais que ce sont bien plutôt les idées nouvelles qui se font une place dans l’enseignement au moyen d’une exégèse artificielle. C’est parce que les maîtres attendaient un Messie fils de Joseph qu’ils lui ont forgé un état civil dans l’Écriture. D’où leur est donc venue cette conception ? Jusqu’à Hadrien, le judaïsme pharisaïque poursuivait surtout un idéal politique national. Après le désastre, il eut le loisir de méditer sur les inconvénients de l’agitation politique et fut davantage frappé de ce que disait l’Écriture du caractère spirituel du Messie. Le double rôle guerrier et spirituel amena à dédoubler le Messie, et le second Messie ne pouvait appartenir qu’à Joseph. Pour revenir à l’unité, on imagina qu’il mourrait, non sans gloire, ni sans utilité pour la nation.

On voit assez que cette explication est une déduction logique, plutôt qu’une interprétation des textes, et il serait très malaisé de prouver ce changement dans les idées messianiques des rabbins.

Il est vrai que plus d’une idée nouvelle fut introduite de gré ou de force dans l’exégèse, mais il faut tenir compte aussi de l’influence exercée par certains textes, sinon très clairs, du moins très suggestifs.

Toutefois on n’accordera pas à M. Dalman que le texte de Zacharie ait donné naissance au Messie fils de Joseph, puisque le prophète y vise si expressément la maison de David. Le point de départ est bien plutôt dans la bénédiction de Jacob[2] et dans celle de Moïse, toutes deux si glorieuses pour Joseph, qui l’emporte même sur Juda dans le cantique du Deutéronome[3]. Puisque les dix tribus, malgré les fautes du passé, devaient être admises à la restauration messianique, il pouvait paraître convenable de leur attribuer un Messie. C’est lorsque ce Messie eut pris une certaine consistance dans le public qu’on lui chercha un rôle. L’opinion de M. Klausner pourrait être utilisée sur ce point ; le guerrier s’opposait assez naturellement au roi pacifique, et, dès lors, en dépit de l’allusion à la maison de David, le passage de Zacharie, d’aspect messianique, fut interprété de la mort du Messie guerrier. Les Juifs imaginèrent volontiers, avant la suprême intervention divine, des guerres de revanche et de vengeance sous la direction d’un chef national.

Quoiqu’il en soit, — et il faut convenir que la question demeure obs-

  1. Die mess. Vorstell…, p. 94 ss.
  2. Gen. xlix.
  3. Dt. xxxiii, 7 sur Juda ; xxxiii, 13-17 sur Joseph.