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pas dans l’Écriture : Jéthro, Rahab, Ruth, étaient connus de tous. La solution théorique n’était donc pas douteuse, et il paraît certain que les Juifs firent de grands efforts pour la réaliser en fait. On ne peut expliquer sans une active propagande le grand nombre des prosélytes au premier et au second siècle. M. Lévi va plus loin, il admet, contre l’opinion générale, que l’attitude du judaïsme fut toujours la même, et il apporte, comme preuves, de nombreux textes du troisième et du quatrième siècles. Ces textes prouvent bien que la doctrine générale est demeurée la même ; elle était trop clairement établie dans la Bible pour qu’on pût y renoncer. D’autre part, il est certain que le mouvement des conversions se ralentit au troisième siècle, et il est difficile de ne pas reconnaître parmi les causes qui arrêtèrent la propagande une défiance plus accentuée des prosélytes. Cette défiance était très probablement justifiée. Pendant la guerre d’Hadrien, les Juifs éprouvèrent sans doute qu’ils ne pouvaient vraiment compter que sur la solidarité de la race, pour conserver leur caractère distinctif. On ne renonçait pas au prosélytisme, mais on voulait que les prosélytes fussent à toute épreuve. Une baraïtha du traité Iebamoth es¬quisse le dialogue qui s’engage entre le maître et le récipiendaire : « Comment es-tu venu à l’idée d’être prosélyte ? Ne sais-tu pas qu’aujourd’hui Israël est poursuivi, opprimé, torturé, rejeté çà et là et exposé à toutes les souffrances ? S’il répond : je le sais, et je ne suis pas digne [de partager le triste sort d’Israël], on le reçoit aussitôt[1] ».

D’autres étaient plus intransigeants. Éliézer ben Hyrcanos doit être cité, bien qu’il ne représente pas le grand courant du rabbinisme : opposé aux efforts de Gamaliel II pour ramener l’unité, il se fit chasser par ses confrères et mourut dans la solitude. Il estimait peu les prosélytes. Si l’on devait les épargner, c’est qu’étant mauvais par nature, il fallait les empêcher de retomber dans leurs erreurs[2].

R. Khelbo, rabbin d’origine babylonienne, habitant la Palestine an iiie siècle, a trouvé une formule plus originale[3] : « Les prosélytes sont aussi pénibles pour Israël que la lèpre pour l’épiderme ; c’est ce que dit l’Écriture en ces termes : Les prosélytes s’attacheront à Israël et seront une lèpre pour la maison de Jacob ». Qu’on note en passant que R. Khelbo n’a pu trouver ce sens à l’Écriture que par un jeu de

  1. b. Iebamoth, 47a.
  2. Mekilta sur Ex. xxii, 20 (95a) ; d’autres traits dans Bacher, Die Agada der Tannaiten, I2, p. 106 s.
  3. Cette sentence est qualifiée de baraïtha dans Kallah rabbati, c. iv (Klausner, Die messianischen Vorstellungen…, p. 82).