Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/287

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à la loi orale. Convertis-moi et apprends-moi la loi écrite (seulement). » A ces mots, Schammaï s’emporta et le mit à la porte avec des injures. Le païen, alors, se rendit chez Hillel, qui le reçut comme prosélyte (malgré la condition susdite). Le premier jour [il lui apprit l’alphabet], disant : Voici l’alef, le bet, le guimel, le dalet… Le lendemain, il lui enseigna le contraire. — « Mais hier, s’écria le prosélyte, tu ne m’as pas parlé ainsi ! — Ainsi, répliqua Hillel, à moi tu t’en rapportes, et tu ne t’en rapportes pas à la tradition ! »

Autre histoire analogue. Un païen se présenta devant Schammaï et lui dit : « Convertis-moi, à la condition de m’enseigner toute la loi pendant que je me tiendrai sur un pied ». Schammaï le repoussa avec la coudée de bâtisse qu’il tenait à la main. Le païen se rendit alors chez Hillel, qui le reçut comme prosélyte, en lui disant : « Ce qui te déplaît, ne le fais pas à ton prochain » ; c’est là toute la loi, le reste n’en est que le commentaire : va et étudie.

Dans un troisième cas, le prosélyte veut se convertir pour être grand prêtre, un peu comme ce Romain du temps de Damase, tout disposé à se faire chrétien s’il doit être nommé évêque de Rome. Hillel l’amène doucement à reconnaître de lui-même combien cette prétention est incongrue. Et le Talmud conclut :

Un jour ces trois prosélytes se rencontrèrent et ils se dirent : « L’irascibilité de Schammaï a été sur le point de nous repousser du monde ; la douceur d’Hillel nous a rapprochés des ailes de la Schechina ».

Il est bien évident que les rapporteurs de ces histoires sont sympathiques à Hillel et applaudissent à l’art ingénieux qui lui gagnait le cœur des prosélytes. Chammai les rebutait par sa dureté, mais ce n’est point une preuve qu’il réprouvât le prosélytisme.

Il est bien étrange que les savants juifs modernes n’aient pu se mettre d’accord sur cette grave question. M. Perles n’accorde aucune autorité au passage si formel de saint Matthieu : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous courez les mers et la terre pour faire un prosélyte, et, quand il l’est devenu, vous faites de lui un fils de la géhenne, deux fois plus que vous[1] ! »

Ce savant prétend même que cela s’applique tout au plus au judaïsme de la diaspora, mais M. Israël Lévi n’a pas eu de peine à trouver dans le Talmud de nombreux textes favorables au prosélytisme[2]. Et il ne pouvait en être autrement, à moins que les scribes n’eussent fermé complètement les yeux à l’évidence de l’Écriture. Abraham devait être une source de bénédiction pour tous les peuples, et les prophètes l’avaient entendu de la conversion de ces nations. Les exemples concrets de gentils associés à Israël ne manquaient

  1. Mt. xxiii, 15.
  2. Le prosélytisme juif ; Revue des études juives, t. L, 1 ss. ; LI, 1 ss.