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Il faut de nouveau admirer que certains rabbins aient hérité de la largeur de cœur des anciens prophètes, ou que l’Écriture, parfaitement claire, ait triomphé de leurs préjugés ou de leurs répugnances.

Les temps messianiques étaient souvent annoncés dans la Bible comme des temps de salut. Tous les peuples devaient reconnaître que Iahvé est Dieu et plier le genou devant lui. A prendre le messianisme sous cet aspect purement religieux, il n’y avait aucune raison d’exclure qui que ce fût.

Cette tradition s’est perpétuée dans la prière ‘Alênou[1], sous une forme très universelle. Elle se retrouve dans le Talmud, comme une espérance ferme, en dépit de certaines hésitations[2] :

Tradition : celui qui voit un Mercure[3] doit dire :

Béni soit celui qui a été longainme pour les serviteurs de son bon plaisir ; en cet endroit dont on a extirpé le culte des astres, on doit dire : Béni celui qui a extirpé le culte des étoiles de notre pays ; et, comme il a été extirpé de cet endroit, ainsi soit-il extirpé de tous les endroits d’Israël, et ramène le cœur de ceux qui les adorent à ton service ! En dehors du pays, il n’est pas nécessaire de dire : et ramène le cœur de ceux qui les adorent à ton service, à cause du grand nombre des Gentils[4]. Rabbi Siméon ben Éléazar dit : Il faut le dire même en dehors du pays, car il est dit (Sophonie, iii, 9) : Je changerai aux peuples des lèvres pures [afin qu’ils invoquent tous le nom de Iahvé et le servent d’un seul effort][5].

On voit ici clairement comment la pensée s’élève sur les ailes du prophétisme. Le rabbin ne songe d’abord à purifier de l’idolâtrie que le pays d’Israël ; quelle apparence que le reste du monde se convertisse ? il est tout à fait inutile de le demander à Dieu. Mais le texte de Sophonie est là qui oblige à espérer davantage.

Ce même texte s’imposait encore à l’attention de R. Joseph[6].

Mais on ne peut regarder ces vues très élevées comme dominant toute la matière.

D’abord il va sans dire que tous les rabbins hostiles au prosélytisme de leur temps devaient se montrer encore plus hostiles aux prosélytes des temps messianiques.

Les autres, ceux qui parcouraient la terre et la mer pour faire un prosélyte, avaient très justement à cœur de n’accueillir que les Gentils convaincus. Les conversions intéressées étaient à bon droit suspectes.

  1. Traduite plus haut, p. 153 s. ; le texte hébreu aux appendices, texte V.
  2. b. Berakoth, 57b.
  3. Ordinairement un Hermès ; ici, semble-t-il, un amas de ruines païennes.
  4. Littéralement « de Samaritains », pris pour type des païens en général.
  5. Littér. « d’une seule épaule ».
  6. b. ‘Aboda zara, 24a.