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Or on posa en principe, et ce principe ne paraît pas avoir été contesté, que toutes les conversions des temps messianiques seraient dictées par l’intérêt. Israël malheureux accueille ceux qui se présentent généreusement pour partager sa mauvaise fortune ; quand il triomphe, comme au temps de David et de Salomon, ou au temps du Messie, il se défie des avances qu’on lui fait et ne reçoit personne.

Le Talmud de Babylone décrit — non sans humour — l’empressement maladroit des prosélytes, leur couardise et leur déconvenue. Dieu lui-même se rit de leur mésaventure[1] :

R. José dit : Dans le temps à venir, les idolâtres se feront prosélytes, et qui recevrons-nous ? On répond selon la tradition : On ne recevra pas les prosélytes au temps du Messie, comme non plus on ne les a pas reçus au temps de David ni de Salomon, car ils se font prosélytes étant entraînés[2] ; ils mettent des phylactères à leur tête, des phylactères à leurs bras, des franges à leurs vêtements, des rouleaux de parchemin à leurs portes ; puis quand ils voient les guerres de Gog et de Magog, chaque prosélyte leur dit : Contre qui marchez-vous ? Ils lui disent : Contre Dieu et son Messie, car il est dit (Ps. ii, 1) : Pourquoi des nations se sont-elles remuées, et des peuples mâchonnent-ils du rien ? et chacun se débarrassera de ses obligations et s’en ira, car il est dit (Ps. ii, 3) : rompons leurs entraves, et le Saint, béni soit-il, sera là et se rira d’eux, car il est dit (Ps. ii, 4) : celui qui habite dans les cieux se rira d’eux.

Les prosélytes ne sont donc pas reçus, et on trouve le moyen de prouver que c’est leur faute.

Le même canon figure dans un autre endroit[3] : « On ne recevra pas les prosélytes au temps du Messie, comme on ne les a pas reçus non plus au temps de David et de Salomon ». La baraïtha est stéréotypée, et cette fois elle est établie par un amora, Éléazar, sur un texte d’Isaïe, complètement détourné de son sens[4], pour signifier que le droit des prosélytes à participer aux faveurs d’Israël ne peut être établi, s’ils ne se convertissent avant que Dieu ait manifesté sa présence.

Le principe est donc certain : au temps du Messie les Gentils désireux de se convertir ne seront pas incorporés à Israël. D’ailleurs cela n’empêche pas leur retour à Dieu, annoncé par les prophètes. Ils

  1. b. ‘Aboda zara, 3b.
  2. שנעשו גרים גרורים. Il y a un jeu mot sur גר « prosélyte » et גרור « tiré ». L’expression ne peut être prise que dans le même sens — défavorable — dans b. ‘Aboda zara, 24a, et cependant c’est le texte allégué par M. Perles (Bousset’s Religion des Iudentums, p. 39) pour prouver que les Rabbins se préoccupaient de la conversion des Gentils à la fin du temps !
  3. b. Iebamoth, 24b.
  4. Cf. Klausner, Die Messianischen Vorstellungen…, p. 80, qui corrige Éliézer du texte en Éléazar, et explique le passage d’Is. liv, 15 dans le sens du talmudiste.