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lui que nous croyons ; mais voulant être juifs et chrétiens, ils ne sont ni juifs ni chrétiens ».

Saint Épiphane est beaucoup moins affirmatif sur la foi chrétienne de ces Nazaréens. On les rencontre surtout dans la région d’Alep et de la Cœlé-Syrie, dans la Décapole, près de Pella, et dans la Batanée. Ils ne sont pas juifs, puisqu’ils croient dans le Christ ; ils ne sont pas chrétiens, puisqu’ils s’attachent encore à la Loi, à la circoncision, au sabbat et au reste des observances[1]. Mais il n’ose dire si, regardant Jésus comme le Messie, ils en font un pur homme, ou s’ils le tiennent pour ce qu’il est, né de la Vierge Marie par l’opération de l’Esprit-Saint. Puis concluant plus que ne le permettent ses prémisses, l’évêque de Salamine les déclare plutôt juifs, quoique les Juifs les détestent et les maudissent trois fois par jour[2].

Il a probablement exagéré le caractère hérétique de ces Nazaréens, et l’on peut préférer l’opinion de saint Jérôme, qui ne signale aucune différence entre la christologie de ces chrétiens et celle de la grande église, si ce n’est leur obstination à vouloir demeurer juifs. Rejetés des synagogues, ils forment des groupes distincts, tels que les Talmuds dépeignent les Minim, mais ils cherchent à s’en rapprocher, et c’est précisément cette prétention de demeurer Juifs qui les rend odieux et redoutables aux Juifs. Mais ils ne furent sans doute pas les seuls chrétiens à controverser avec les rabbins ; les chrétiens, même Gentils d’origine, sont aussi des Minim. De sorte que, en fait, la grande hérésie, celle dont le judaïsme a horreur et contre laquelle il cherche à se préserver, c’est le christianisme. Si les Minim n’étaient que la secte dont parle saint Jérôme, quand bien même elle eût été répandue, comme il le prétend, dans tout l’Orient, les Minim n’eussent pas été plus nombreux que les Juifs[3].

Issus le plus souvent du judaïsme, plus ou moins soucieux de conserver avec lui de bons rapports, du moins sur le terrain commun de

  1. Adv. Haeres., haer. xxix, P. G., t. XLI, col. 401 : Ἰουδαίοις μὲν μὴ συμϕωνοῦντες, διὰ τὸ εἰς Χριστὸν πεπιστευκέναι· Χριστιανοῖς δὲ μὴ ὁμογνωμοῦντες, διὰ τὸ ἔτι νόμῳ πεπεδῆσθαι, περιτομῇ τε καὶ τοῖς ἄλλοις.
  2. Eod. loc., col. 404 : Ἰουδαῖοι μᾶλλον, καὶ οὐδὲν ἕτερον. Πάνυ δὲ οὗτοι ἐχθροὶ τοῖς Ἰουδαίοις ὑπάρχουσιν. Οὐ μόνον γὰρ οἱ τῶν Ἰουδαίων παῖδες πρὸς τούτους κέκτηνται μῖσος, ἀλλὰ καὶ ἀνιστάμενοι ἕωθεν καὶ μέσης ἡμέρας καὶ περὶ τὴν ἑσπέραν, τρὶς τῆς ἡμέρας, ὅτε εὐχὰς ἐπιτελοῦσιν ἑαυτοῖς ἐν ταῖς συναγωγαῖς, ἐπαρῶνται αὐτοῖς, καὶ ἀναθεματίζουσι τρὶς τῆς ἡμέρας ϕάσκοντες ὅτι Ἐπικαταρᾶται ὁ θεὸς τοὺς Ναζωραίους.
  3. Dialogue d’un Min avec Beruria, femme de R. Méïr, disciple d’Aqiba ; le Min reproche à Israël sa stérilité. Beruria espère dans l’avenir en citant la suite du texte (Is. liv, 1) ; mais elle semble concèder le fait, et conclut seulement qu’Israël n’enfante pas pour la Géhenne, comme les Minîm (b. Berak. 10a). Un texte beaucoup plus récent admet que les Israélites ne sont que le tiers (Debar. r. ii, 33, p. 104c. Herford, p. 237 et 306).