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l’Écriture, les Minim étaient un danger pour l’orthodoxie pharisienne.

Un rabbin célèbre pour son intransigeance, R. Éliézer ben Hyrkanos, fut, à son grand désespoir, accusé devant le gouvernement romain de professer la foi des Minim ou la Minouth. En sondant sa conscience pour savoir comment une telle honte avait pu lui être infligée, il se souvint d’avoir pris plaisir à une explication scripturaire fournie par « un des disciples de Jésus le Nazaréen, nommé Jacob de Caphar Sekaniah »[1]. Ce Jacob était évidemment un Min[2]. On commençait par scruter des textes difficiles, selon la manière de l’agada ; le Juif y trouvait de l’agrément, et le chrétien était tenté de profiter de son avantage !

Pour échapper à ce péril, on prit les mesures les plus rigoureuses. Les Minim furent solennellement maudits dans la prière que chaque juif doit réciter trois fois par jour, le Chemoné-esré. Parmi les dix-huit bénédictions qui donnent leur nom à cette prière, on plaça cette formule[3] : « Que les apostats n’aient aucune espérance, et que l’Empire de l’orgueil soit déraciné promptement de nos jours ; que les Nazaréens et les Minim périssent en un instant, qu’ils soient effacés du livre de vie et ne soient pas comptés parmi les justes ! Béni sois-tu, Iah, qui abaisses les orgueilleux ! »

L’addition est due, comme on sait, à R. Gamaliel II, qui invita quelqu’un de l’assemblée à proposer une formule, comme si une sorte d’inspiration eût été indispensable pour cela. Samuel le Petit se chargea de ce rôle, vers 80 après Jésus-Christ.

La haine que respire cette exécration fut sans doute le principal motif qui la dicta. Peut-être cependant, comme l’ont cru MM. Graetz, Bacher et Herford, avait-on l’intention de sonder les dispositions secrètes de ceux qui auraient incliné vers le christianisme, ou d’obliger à se condamner eux-mêmes ceux qui auraient prétendu avoir un pied dans les deux religions. Aussi lorsque celui qui priait au nom de tous omettait quelque passage de cette litanie, on n’y prenait pas trop garde, mais il devenait immédiatement suspect, s’il ne prononçait pas la bénédiction des Minim[4].

  1. b. ‘Abodah zara, 16b-17a. Dans le passage parallèle, Tosefta Hull. ii, 24, Jacob a dit une parole de Minouth au nom de Jésus ben Pantiri ; cf. Herford, p. 137 ss.
  2. Cf. b. ‘Ab. zar. 27b.
  3. Nous citons d’après la recension palestinienne, découverte par M. Schechter dans la guenizah du Caire et publiée dans Jew. Quart. Rev. X (1898), 654-659 ; c’est le seul texte qui cite en toutes lettres les Nazaréens ou chrétiens ; ils ne sont pas ici confondus avec les Minim, ou hérétiques en général ; c’est sans doute par prudence qu’on supprima le mot, celui de Minim représentant suffisamment la chose ; cf. à la fin de ce volume, texte IV.
  4. b. Berak. 28b-29a. De même (j. Berak. 9c), on conjecturait qu’il était Min s’il passait