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D’après les Rabbins, leurs adversaires veulent prouver qu’il y a deux dieux ou deux pouvoirs dans le ciel ; et, dans un cas du moins, il est clair que les adversaires sont des chrétiens étant « des disciples du fils de la courtisane »[1] ! Il y a tout lieu de croire que ce sont toujours des chrétiens, qui veulent établir la divinité de Jésus en prouvant au préalable, par l’Ancien Testament, la distinction de Dieu le Père et du Logos ou du Fils. Leurs arguments sont mal choisis — et rien ne prouve que les textes hébreux les aient tous enregistrés, même les bons ; — ils avaient une certaine force contre les rabbins, car c’est bien la même méthode : tirer de la moindre particularité du texte des conclusions dogmatiques. Ainsi quand Dieu est nommé deux fois, le Min s’empresse de conclure qu’il y a deux pouvoirs dans le ciel. Or nous pouvons constater que l’exégèse trop subtile attribuée à un Min a bien été courante parmi les chrétiens.

« Un certain Min dit à R. Ismaël, fils de R. José : Il est écrit (Gen. xix, 24) : et le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu envoyés par le Seigneur. Il eût dû dire : qu’il avait envoyés lui-même »[2]. Donc, insinue le Min, il y a ici deux personnes qui portent le nom de Dieu. C’est l’exégèse de plusieurs Pères de l’Église, enseignée sous peine d’anathème par un concile — non orthodoxe — de Sirmium[3] : « On doit absolument dire que le Seigneur Fils a fait pleuvoir de la part du Seigneur Père, et non pas le Seigneur de sa propre part ». Rabbi Ismaël vivait à Sephoris à la fin du second siècle ; il était donc contemporain de saint Irénée ; la coïncidence est parfaite.

Ce cas très clair aide à comprendre les autres. C’est assurément dans le même sens qu’un Min disait à Rabbi : « Celui qui a formé les montagnes n’a pas créé le vent, et celui qui a créé le vent n’a pas formé les montagnes », en citant Amos[4].

Quand les Minim insistaient sur le sens pluriel d’Elohim, on répondait que le verbe suivant était au singulier. Il était plus difficile de répondre au passage : « Faisons l’homme ». Moïse lui-même, écrivant

  1. Pesiq. r. xxi, p. 100b, expliqué plus haut, p. 226. Le Dieu de la mer Rouge est aussi le Dieu du Sinaï. C’est ainsi qu’on expliqua la double invocation dans le ps. xxii, 1 : אלי אלי למה עזבתני אלי בים סוף אלי בסיני. Midr. des Psaumes, éd. Buber, Wilna, 1891, I, p. 188.
  2. b. Sanh. 38b.
  3. Le R. P. de Hummelauer (Genesis, ad. h. l., p. 415) cite S. Irénée (C. haeres. iii, 6 ; P. G., VII, c. 860), S. Cyprien (Ad Quirin. iii, 33 ; P. L., IV, 754), S. Hilaire (De Trin. iv, 29 ; P. L., X, 118 s.), S. Ambr. (lib. I, De fide ad Gratian. 3 ; P. L., XVI, 533), S. Jérôme (in i Os. ; P. L., XXV, 826) et d’autres. Le concile de Sirmium (Labbe, III, 258, an. 16) : « Si quis hoc dictum pluit Dominus ignem a Domino, non de Patre et Filio accipiat, sed ipsum a se ipso pluisse dicat, anathema est. Pluit enim Filius Dominus a Domino Patre ».
  4. Am. iv, 13.