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guerre religieuse contre les chrétiens dominant dans la ville de Nedjrân, au nord du Yémen. Il s’adressa même à Al-Mundhir III, prince de Ḥira, le priant d’exterminer, lui aussi, les chrétiens de ses états[1]. C’était donc une véritable tentative de chasser le christianisme des pays arabes. Il parvint à réduire Nedjrân dont les habitants furent massacrés en haine de la foi, puis fut vaincu par les Abyssiniens, qui avaient franchi la mer pour venger leurs coreligionnaires ; mais on pouvait craindre une revanche des Juifs et se demander s’il ne leur serait pas donné d’établir leur hégémonie en Arabie, lorsque Mahomet parut.

Leur succès s’explique aisément. Malgré leurs hardies falsifications des auteurs grecs anciens et leur prétention d’avoir été la source de toute philosophie, les Juifs furent toujours méprisés des lettrés de la Grèce et de Rome. En Arabie, ils l’emportaient beaucoup par leur instruction ; c’est probablement par leur influence que les Arabes substituèrent à l’année solaire, admise du moins par les Nabatéens, les mois lunaires avec un mois intercalaire tous les trois ans. Ils étaient les gens du Livre. Dans les histoires de conversions, ce sont toujours les saints livres qui jouent le rôle principal ; ils résistent au feu ou même ils l’éteignent. Ce sont les Juifs qu’on consulte pour poser à Mahomet des questions embarrassantes[2].

Le monothéisme était par lui-même une grande force. Dans le chaos des panthéons orientaux se manifestait une tendance à l’unité. Aucune religion ancienne ne pouvait y arriver par ses propres forces, mais les esprits étaient préparés à la confesser ailleurs. Les nouvelles inscriptions de Médaïn Saleh découvertes par les Pères Jaussen et Savignac renferment deux formules qui se rapprochent de celles de Palmyre glorifiant le maître du monde, et celui qui sépare le jour de la nuit. L’attrait de l’unité s’exercait ici d’autant plus librement que le principal obstacle au judaïsme complet n’existait pas en Arabie ; la circoncision y était générale. Beaucoup d’Arabes n’admettaient pas la survivance de l’âme, mais « d’autres croyaient à la résurrection et à une autre vie[3] ». Si ceux-là n’étaient pas des prosélytes juifs, ils étaient du moins bien préparés pour le devenir.

Le seul obstacle était donc l’idolâtrie, une idolâtrie en décadence, et le christianisme grandissant. Mais le christianisme était représenté par l’empire grec dont on craignait le joug[4], et qui avait moins d’af-

  1. Et même, d’après les sources, au roi de Perse.
  2. Caussin de Perceval, I, p. 381.
  3. Caussin de Perceval, I, p. 349.
  4. Il n’eut donc que des succès partiels, comme celui de l’ambassade de Théophile, envoyé par Constance aux Himyarites et qui réduisit les Juifs au silence (P. G., t. LXV, c. 184).