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écrits de Philon ; on l’y rencontre cependant, et rien ne prouve que le philosophe ait changé ses idées sur ce point[1]. Les passages sont connus et classiques ; nous ne pouvons néanmoins nous dispenser d’y revenir. Ils se rencontrent dans deux traités, qui n’en formaient à l’origine qu’un seul, ayant pour thème, comme dans un diptyque, les récompenses accordées aux bons et les peines infligées aux méchants. C’est, comme l’explique M. Schürer[2], une sorte d’épilogue à la description de la législation mosaïque, et voilà pourquoi c’est dans ces deux livres, dont le thème est par lui-même eschatologique, que Philon a été amené à faire une part au messianisme, à peu près exclusivement d’après le Pentateuque.

C’est un texte de l’Exode qui sert de point de départ[3] : « Mais si tu écoutes ma voix et si tu fais tout ce que je te dirai, je serai l’ennemi de tes ennemis, et l’adversaire de tes adversaires ».

La première récompense accordée par Dieu à ceux qui observent la Loi sera donc pour les Israélites fidèles — car c’est bien d’eux qu’il s’agit — de vaincre leurs ennemis[4].

Sur quoi Philon[5] distingue deux sortes d’ennemis : les animaux sauvages et les hommes. L’hostilité des bêtes est naturelle et perpétuelle. Mais on peut espérer que lorsque les bêtes les plus redoutables, celles de la pensée, seront domptées, les autres deviendront plus douces. Donc, lorsque l’ordre sera rétabli dans les âmes par l’innocence, la paix régnera aussi entre les animaux et l’homme. Cette pensée peut être empruntée à Isaïe[6], mais elle découle très natu¬rellement de l’antithèse entre le péché d’Adam et la restauration. « Il me semble qu’alors les ours et les lions et les panthères, et les animaux de l’Inde, éléphants et tigres, et les autres dont l’instinct et l’énergie sont indomptés, passeront de l’existence isolée et particulière à la concorde », les uns respectant le pouvoir de l’homme, les autres cherchant même à le flatter comme ces petits chiens de Malte qui agitent leurs queues en caressant ; les crocodiles et les hippopotames du

  1. C’est l’opinion de M. Bréhier, ibid., p. 9, parce que, dans le Commentaire allégorique, Philon interprète au sens moral les promesses de biens temporels. On sait que ces interprétations allégoriques n’empêchaient pas toujours Philon d’admettre la réalité de la lettre.
  2. Schürer, Geschichte… III3, p. 522, cite Eusèbe (H. E. II, xviii, 5) sur le titre global des deux livres : περὶ τῶν προκειμένων ἐν τῷ νόμῳ τοῖς μὲν ἀθαθοῖς ἄθλων, τοῖς δὲ πονηροῖς ἐπιτιμίων καὶ ἀρῶν. Aujourd’hui De praemiis et poenis De exsecrationibus (éd. Cohn, V, p. 336-376).
  3. Ex. xxiii, 22. Dans ce qui suit, allusions à Lev. xxvi, 3 ss. ; Dt. vii, 12 ss. ; xxviii, 1 ss., xxx, 11 s.
  4. De praemiis xiv.
  5. De praemiis xv.
  6. Is. xi, 6 ss.