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On voit donc apparaître un instant celui qu’on peut à peine nommer le Messie personnel, le héros annoncé par Balaam, dont tout le rôle consistera à donner la victoire aux saints. D’après la leçon textuelle que nous avons adoptée, ce n’est pas lui, ce sont eux qui règnent. Les dons qui leur assurent l’empire n’ont rien de particulièrement surnaturel. Philon a soin de faire remarquer que ce sont ceux qui produisent le respect, la crainte et l’affection des sujets, quand ils se rencontrent dans ceux qui commandent. C’est ainsi qu’Abraham a été véritablement roi[1], et ensuite Moïse[2], de cette royauté du sage, bien supérieure à celle qui s’appuie sur les armes, car elle a son point d’appui en Dieu : « Car les autres monarchies sont constituées par les hommes, au moyen de guerres et de campagnes et de maux indicibles… tandis que c’est Dieu qui fonde la royauté du sage ; en en prenant possession l’homme vertueux ne cause le mal de personne, mais plutôt l’acquisition et l’usage des biens en faveur de tous ses sujets, auxquels il promet la paix et un bon gouvernement » [3].

M. Bréhier rappelle que d’après Philon : « Le sage est non un roi, mais le prince des princes, il est divin et roi des rois ; il a été ordonné non par les hommes mais par Dieu » [4], et il n’a pas tort de voir dans cette idée une réminiscence du sage-roi des stoïciens. Dans la félicité des temps vertueux, ce sage ne devait pas être isolé. L’idéal de Philon est donc l’empire des saints ou des sages, où le Messie ne paraît que comme un guerrier valeureux qui les débarrasse de leurs adversaires. Philon a donné satisfaction à « l’oracle », mais ne paraît pas avoir tenu beaucoup à cette figure. Elle n’apparaît que pour céder la place aux saints dont le gouvernement assurera le bonheur de leurs sujets.

En quoi consistera ce bonheur ? Le stoïcien mitigé qu’est Philon ne dédaigne pas les promesses de bien-être temporel ; au premier rang une bonne santé, à la façon grecque, ensuite la richesse, et spécialement celle qui résultera des bénédictions accordées par Dieu à la terre[5]. Comme on serait tenté de reprocher au philosophe un idéal rétréci, il note expressément que les deux choses sont conciliables, et que ceux qui possèdent la vraie richesse dans le ciel par l’élévation

  1. De Abrah. xliv, Cohn : αἱ μὲν γὰρ ἄλλαι βασιλεῖαι πρὸς ἀνθρώπων καθίστανται, πολέμοις καὶ στρατείαις καὶ κακοῖς ἀμυθήτοις… τὴν δὲ τοῦ σοφοῦ βασιλείαν ὀρέγει Θεός, ἣν παραλαϐὼν ὁ σπουδαῖος οὐδενὶ μὲν αἴτιος γίνεται κακοῦ, πᾶσι δὲ τοῖς ὑπηκόοις ἀγαθῶν κτήσεως ὁμοῦ καὶ χρήσεως, εἰρήνην καὶ εὐνομίαν καταγγέλλων.
  2. Vita Mos. I, 148.
  3. De Abrah., passage cité à la note 1.
  4. Bréhier, l. l., p. 6 s.
  5. Allusion à Lév. xxvi, 5.