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est moins d’être complet que de saisir, s’il se peut, les grandes lignes de cette littérature étrange, et de suivre son développement et ses transformations.

C’est une tâche délicate que de mettre un peu d’ordre dans ce chaos, au risque de sacrifier mainte nuance à la nécessité d’aboutir à des idées générales, tâche nécessaire cependant à cause de l’importance extrême — disons tout de suite disproportionnée — que l’on attache aujourd’hui à ces produits d’un temps à la fois agité et épuisé par la fièvre. Au surplus le lecteur qui aurait eu le courage de les lire et de les relire pourra se dispenser de nous suivre, car il aura recueilli certainement de cette lecture l’impression que nous voudrions communiquer, d’un gigantesque effort dans le vide, ou d’un rêve ennuyeux, avec quelques éclairs de bon sens dans le cauchemar d’un malade, et parfois de réelles beautés[1], avec un accent religieux, et plus encore nationaliste, sincère et passionné.

L’apocalyptique a fleuri d’environ 160 av. J.-C. à 120 après. Nous avons à nous demander en quoi elle consiste comme genre littéraire, quelles sont ses doctrines, surtout en ce qui regarde les fins dernières et le Messie, dans quel sens elle a évolué et quelle a pu être son influence.


I. — GENRE LITTÉRAIRE DES APOCALYPSES.


Le genre littéraire des apocalypses a un lien étroit avec les doctrines qu’elles mettent en œuvre ; il faut cependant l’étudier à part ; c’est le bien propre des voyants, tandis que leurs doctrines sont très souvent le fait de tout le monde. Omettre cette distinction, c’est introduire dès le début une confusion irrémédiable dans une matière déjà si enchevêtrée.

Avant tout l’apocalypse regarde l’avenir, et surtout l’avenir des derniers jours. C’est en cela qu’elle se rattache à la prophétie et qu’elle s’en distingue. L’antique prophétie, compagne des destinées d’Israël, n’était pas demeurée toujours la même. Elle avait atteint avec Isaïe le moment décisif où les énergies de l’action avaient pris corps dans une admirable création littéraire. Isaïe flagelle les ivrognes d’Ephraïm[2], accable de ses sarcasmes Sobna, le maître de chambre[3], oppose au doute d’Achaz la solidité des promesses de Dieu[4].

  1. Surtout dans IV Esdras qui est vraiment à part.
  2. Is. xxviii.
  3. Is. xxii, 15-25.
  4. Is. vii ss.