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admis de leur vivant, ou après leur mort, à la connaissance des mystères divins, assurait un double avantage : l’autorité de leur nom d’abord, et la garantie qu’offrirait pour l’avenir la réalisation déjà accomplie des prophéties qu’on leur prêtait.

Le premier caractère extérieur de la littérature nouvelle est donc la pseudonymie. Celui qui est censé parler est un ancien, Noé, Hénoch, Abraham, Moïse, Baruch, Esdras, voire une de ces femmes que les Grecs regardaient comme inspirées, la Sibylle. Hénoch était le type de ces apôtres de l’au-delà. A la veille du déluge, ce grand jugement qui avait frappé l’humanité primitive, il avait été enlevé pour continuer à vivre auprès de Dieu. Il était naturel de mettre dans sa bouche les plus graves avertissements et d’attendre de lui la révélation des mystères célestes. Aussi toute une littérature s’est réclamée de son nom. C’est probablement par lui qu’on commença, sauf à remonter ensuite jusqu’à Adam et à descendre jusqu’à Esdras ; il est le héraut du jugement et de Dieu.

Quel que soit le confident de Dieu, il reçoit une révélation ; c’est le nom même d’apocalypse qui caractérise ce genre. Et cela encore est une transformation de l’ancien prophétisme. Les visions ne lui étaient pas étrangères. Isaïe avait vu Dieu entouré de Séraphins[1] ; Amos, Jérémie, Zacharie avaient assisté à des spectacles surnaturels qui étaient des symboles. Un objet apparaissait au prophète ; il lui était montré par Dieu, en même temps que le sens de l’apparition lui était révélé. Manifesté d’une façon surnaturelle, cet objet appartenait cependant à la nature : c’était une branche d’amandier[2], une chaudière[3], un cordeau de maçon[4], des chevaux de diverses couleurs[5]. Tout cela est fort simple et de la vie quotidienne ; c’est dans le Temple qu’Isaïe a vu Dieu.

La nouvelle école s’élève plus haut ; elle ne demande pas à Dieu de descendre et préfère monter chez lui pour voir de près ses mystères.

Or comment pénétrer jusqu’au ciel et en sonder les secrets sans une révélation très particulière ? Et comme les choses du ciel doivent être éblouissantes et bien plus belles que celles d’ici-bas, il faut donc, pour les décrire, recourir à des comparaisons, à des images fort imparfaites, qui obligent sans cesse l’auteur à protester de leur insuffisance : c’est comme un homme, comme un feu, comme de la neige, etc.[6].

  1. Is. vi.
  2. Jér. i, 11.
  3. Jér. i, 13.
  4. Amos, vii, 7.
  5. Zach. i, 8 ss.
  6. On entend assez l’imperfection littéraire de ce procédé ; le vrai poète emploie des